Témoignage

 

Des cadavres amoncelés

 

Je m'appelle Geneviève et je vis à Genval en Brabant wallon. Là même où mon grand-père, Clément Hulet, a été échevin pendant trente ans.

Son père, Frédéric Hulet, jouissait d'une mémoire étonnante, demeurée intacte jusqu'à son dernier jour, en 1980. Il avait 96 ans. Ses récits du passé m'ont toujours intéressée, et souvent bouleversée. Il les tenait de son père, Clément, qui lui-même les tenait de sa mère - appelons-la Marie -, née vers 1805, 1806. On peut donc parler ici de tradition orale.

«Laissons la parole à Marie :

« J'étais une petite fille grandie à la ferme paternelle. Celle-ci existe toujours, au pont de Groenendael, occupée de nos jours par le musée de la Forêt.

« Aux environs de la mi-juin 1815, il y eut autour de nous un grand va-et-vient de troupes. Ma mère prit peur et se sauva dans la forêt avec ses enfants, jusqu'après la bataille.

«Quelques jours plus tard, des soldats vinrent frapper à la porte de la ferme. Nous étions déjà «occupés » par les Britanniques, les Hollandais et les Prussiens et ces hommes avaient autorité sur nous. Ils ordonnèrent à mon père de les suivre avec son matériel de labour, cheval, charrue, crics... Nous avions peur et le temps nous parut bien long».

« Il revint très tard, blême, harassé, silencieux. Enfin il nous mit au courant. Dans le chemin creux, qui allait de Ohain à Braine-l'Alleud (aujourd'hui «le vieux chemin de Wavre»), des cadavres de cavaliers et de chevaux s'entassaient les uns sur les autres. Avec d'autres fermiers, il dut les extirper et les remorquer jusqu'aux fossés déjà préparés. Il n'oublia jamais cette après-bataille dite de Waterloo».

 

 

« Pendant des années et des années, les fermiers propriétaires des champs trouvèrent en labourant des armes, des objets divers, des ornements, et même de l'or (des broderies?) - disait mon père - qui remontaient du sol comme remontent les souvenirs ».

 

Propos recueillis par Françoise Humblet, avril 1995





 

 

 

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