Témoignage

 

Le médecin qui a failli être fusillé parce qu'il ressemblait un peu trop à l'Empereur

 

Dans ses «Mémoires et Campagnes», Dominique-Jean Larrey, chirurgien en chef de la Grande Armée relate comme suit sa rencontre avec ces Prussiens, laquelle faillit lui coûter la vie...

 

«Me dirigeant à l'ouest vers la frontière, j'étais venu presque au bord de la Sambre lorsqu'à la pointe du jour je fus enveloppé par un corps de lanciers prussiens... Je fus impitoyablement désarmé et presque dépouillé de tous mes vêtements; les officiers eux-mêmes se partageaient ma bourse qui contenait une quarantaine de napoléons, s'emparèrent de mes armes, de ma bague et de ma montre... Ma taille et une redingote grise que je portais me donnaient quelque ressemblance avec l'Empereur. Je fus d'abord pris pour sa personne et on me conduisit auprès de l'officier prussien, puis près d'un autre officier général, qui par un moment de fureur s'était décidé à me faire passer par les armes. Mais au moment où les soldats étaient prêts à faire feu, un chirurgien-major prussien me reconnut et obtint la suspension de cette mesure barbare».

«L'ordre est donné de me conduire près du général Bülow qui m'avait vu à Berlin; II fut touché de me voir dans l'état de gène et de dénuement où l'on l'avait réduit : j'étais pieds nus et à peine couvert de ma redingote et d'un pantalon (...) J'avais les mains liées derrière le dos et la tête couverte de lignes ensanglantés. On me débarrassa sur le champ de mes entraves et on me conduisit chez le feld-maréchal Blücher, auquel mon nom était connu, car j'avais sauvé la vie de son fils dans l'un des combats de la campagne d'Autriche, où il fut grièvement blessé et fait prisonnier. Aussi le maréchal me traita-t-il avec bonté. Après m'avoir fait déjeuner avec lui et m'avoir fait présent de douze frédérics en or, il me fit conduire en voiture de poste à Louvain».

 

Hébergé chez un avocat de cette ville, Larrey poursuit son récit en ces termes : « Il me serait difficile de retracer les marques d'amitié et de haute estime que ce respectable vieillard me donna pendant mon séjour à Louvain. Au total, je peux dire que les habitants de la Belgique sympathisaient de cœur et d'âme avec les Français».

 

S'étant rendu à Bruxelles, dans les hôpitaux installés par les Anglais, il vanta les mérites de chirurgiens belges : «Je ne saurais, écrit-il, assez faire l'éloge du zèle, de l'activité et de l'intelligence qu'ils mirent à remplir leurs pénibles et importantes fonctions. Presque tous nos blessés étaient réunis à l'hôpital militaire dirigé par l'un de mes anciens collaborateurs, le docteur Seutin (*), sujet actif, plein de zèle et d'une intelligence rare. A Bruxelles, comme à Louvain, les habitants se disputaient à l'envi, l'avantage de posséder chez eux le plus grand nombre de blessés français; rien ne leur était épargné; on leur prodiguait les soins les plus tendres et les plus généreux : jamais hospitalisation n'a été exercée avec plus de désintéressement».

 

(*) Né à Nivelles en 1793. Dès 1812, il décroche une place d’élève interne à l’hôpital et obtient les premiers prix d’anatomie et de médecine opératoire.

Louis Seutin n’échappe pas à la conscription, recruté dans la garde impériale,  il peut cependant terminer ses études, réussir ses examens à Paris, et est enrôlé comme chirurgien aide-major dans la Grande Armée.

En 1813, Seutin se trouve sous les ordres du chirurgien chef LARREY, chirurgien militaire réputé, et il y fait ses premières armes chirurgicales au milieu des combats. Sa tâche consiste à soigner les blessés lors de plusieurs batailles en Allemagne (Leipzig) ; il se retrouve cependant prisonnier durant quelques mois.

 

Licencié du service militaire français, il rentre en 1814 en Belgique sous l'occupation hollandaise.

 

Le 18 juin 1815, au gré des dominations subies, il travaille dans le camp adverse, celui des forces «hollando-belges», à la bataille de Waterloo. Dans une clinique improvisée près du champ de bataille, il détient le record d’amputation sur une journée, avec pas moins de 32 amputations réalisées dès 11 heures du matin !

 

Après 1830, Seutin jouera un rôle important dans la création du Service de santé de l’armée belge, dont il deviendra médecin en chef.






 

 

 

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