Guillaume-Marie-Anne BRUNE
(1763-1804-1815)
maréchal de l'Empire
comte de l'Empire
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I. - L'HOMME ET SON CARACTÈRE1
Brune était ce qu'on appelle communément un bel homme. II était grand (Note : 1,68m), d'aspect solide, et tout, dans son extérieur, avait quelque chose de martial. L'expression de son visage était énergique et ouverte, son front haut, ses yeux grands et clairs, son nez et son menton vigoureusement dessinés.
Le rôle qu'il a joué, bien qu'important, ne l'a pas mis au premier rang des maréchaux de Napoléon, et sa mort, demeurée fameuse, a beaucoup plus fait pour sa renommée que sa vie elle-même.
Brave, — la chose va presque de soi lorsqu'on parle de ces hommes — il l'était à l'égard des plus braves ; il avait de l'audace et de la ténacité. Administrateur habile au surplus, il était bienveillant, soucieux du bien-être de ses soldats ou de ceux que les hasards de la guerre lui donnaient un instant pour sujets.
Par malheur, ces qualités solides avaient de fâcheux compléments. Sa perspicacité, son flair politique purent être justement et souvent considérés comme une prévoyante courtisanerie. Ses amis eux-mêmes perdaient beaucoup dans sa considération lorsqu'il leur arrivait de descendre du pouvoir ou d'encourir une disgrâce. On a cité ses convictions républicaines ; mais il est à noter qu'il les afficha surtout lorsqu'il crut y voir son intérêt, les laissant volontiers dans l'ombre si elles cessaient d'être une recommandation.
Enfin sa cupidité est restée légendaire. « On ne parlait pas, il est vrai, dans l'armée, dit Villeneuve, de ses fourgons comme de ceux d'Augereau et de Masséna ; mais on y disait des pillards les plus habiles que s'ils ne volaient pas en plein midi, ils volaient à la brune. »
Malgré tout, il est bon de n'accorder à cette légende que le crédit qu'elle mérite, par la raison que la fortune du maréchal ne fut jamais très considérable.
Différents motifs, dont assurément les plus importants ont rapport à son absence de scrupules dans l'ordre pécuniaire, l'avaient fait écarter par Napoléon, en dépit de ses protestations et de ses plaidoyers. Sa disgrâce même fut si complète, que l'empereur refusa de le recevoir à partir de 1807.
Brune a laissé un Voyage pittoresque et sentimental dans plusieurs provinces occidentales de la France. Une traduction de la Retraite des Dix-Mille, de Xénophon, commencée en 1808 au cours de ses loisirs forcés, ne fut jamais achevée.
Le maréchal Brune mesurait 1,68 m. (On notera que de Beauregard qualifie de "grand" Brune (1,68 m), mais de "moyen" Berthier, qui fait 5 cm de plus que lui !)
II. - SON ORIGINE ET SA JEUNESSE
Le maréchal Brune est né à Brive-la-Gaillarde (Corrèze) 13 mai 1763. Son père était avocat, et l'un de ses oncles capitaine et chevalier de Saint-Louis. Une fois ses études terminées chez les frères de la Doctrine chrétienne, il résolut de faire son droit et gagna Paris.
Voici son acte de naissance (A.D. 19) : (merci à D. Contant)
Guillaume Marie Anne Brune fils naturel
Et légitime de Monsieur M(aîtr)e Etienne Brune avocat
Et Mlle Jeanne Vielban et né le treize mai mille sept cent
Soixante et trois a eu pour parrain Messire Guillaume de Sahuguet
d'Amarzit d'Espagnac Chevalier Seigneur de Puimarets et pour
marraine Demoiselle Marie Anne Vielban de Mailhard qui ont
signé, de ce requis par nous avec plusieurs autres parens et amis
despagnac de Vielbant dupugnac (?) vendihac
Brune ..............qui sont pour.....
Notons que sa mère appartenait à la petite noblesse et est habituellement mentionnée sous le nom de Jeanne de Vielbans. (avec s)
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Sa maison natale à Brive-la-Gaillarde, 11 rue Majour.
Photo aimablement transmise parM. Dominique Contant
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Le 13 mars 1763 est né dans cette maison
Guillaume-Marie
Anne Brune et de Jeanne de Vielbans. Une de nos plus belles gloires militaires. Simple grenadier en 1790, maréchal de France en mai 1804. Assassiné à Avignon le 2 août 1815.
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Photo aimablement transmise parM. Dominique Contant
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Sa ville natale lui a fait l'honneur d'une belle statue qui orne la place du 14-Juillet, que je peux vous montrer grâce à l'aimable collaboration de M. Dominique Contant
À
BRUNE
né à Brive le 13 mars 1763
assassiné à Avignon le 2 août 1815
ses frères d'armes
ses concitoyens
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LE HELDER
A
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HELVÉTIE Aux volontaires et aux soldats corréziens de la révolution et de l'Empire _______________ Maréchal d'Empire Guillaume Brune
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Généraux de division
Alexandre DALTON Antoine Delmas Nicolas des brULys Jean Antoine MarBOT Antoine Louis MAUCUNE Jean Joseph SAHUGUET Joseph SOUHAM Pierre VIALLE |
Généraux de brigade
Annet Antoine Couloumy Louis Fuzier Jean Joseph Gilibert de Merlhiac Pierre de GIMEL DE TUDEILS Pierre-Jean TREICH des FARGES Martial VACHOT François VACHOT
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POMÉRANIE |
ITALIE |
PACIFICATION DE L'OUEST |
Il n'y fut pas étudiant fort zélé ; mais il y devint typographe, ce qui lui donna l'occasion de se faire homme de lettres, en commençant par les manier dans la casse de l'imprimeur. Le goût du journalisme lui étant venu, il se mit à diriger le « le Journal général de la cour et de la ville concernant tout ce qui est décidé à l'Assemblée nationale, ce qui se passe à l'Hôtel de Ville de Paris, dans les districts, au Châtelet, ainsi que les nouvelles authentiques de la province, les anecdotes et tout ce qui est relatif au château des Tuileries», feuille aristocratique et mondaine qui ne brillait pas par la concision de son titre, et où se consignaient gravement les faits et gestes les plus menus du Tout-Paris, qui était un peu aussi alors le Tout-Versailles. Au premier coup de tonnerre de la Révolution, et exactement le 30 octobre 1789, c'est-à-dire quand le retour à Paris de la famille royale eut manifesté clairement la force du mouvement populaire, Brune abandonna en un clin d'œil la compromettante gazette pour embrasser chaudement les nouveaux principes.
Exalté comme tous les retardataires d'une cause, il entra au club des Cordeliers, que dominaient Danton et Desmoulins, prit part à la manifestation du Champ de Mars en 1791, et fut, envoyé en Belgique comme commissaire civil du gouvernement français.
Il en fut tôt revenu, et, décidément attiré par le métier des armes, il s'enrôla des premiers dans la garde nationale de Seine-et-Oise. Adjudant major du 2° bataillon en 1791, il était colonel adjudant général en 1792.
Il accompagna ensuite Dumouriez en Belgique, et sa conduite vaillante au combat d'Hondschoote lui valut le grade de général de brigade. Après la défaite de Neerwinden, il rassembla les troupes et assura la retraite.
Mais c'est surtout sa victoire contre les fédéralistes du Calvados, battus à Vernon et refoulés en Normandie, qui le mit en lumière et développa son ambition. Dès ce moment, il rêvait du ministère de la guerre ; mais son ami Danton ne seconda point ses vues en cela. On l'envoya dans la Gironde, où il réprima sévèrement quelques tentatives d'insurrection mais la mort de Danton arrêta pour un temps sa carrière. On assure , en effet, que ses amis, qui attendaient une intervention de sa part en faveur du célèbre tribun; furent indignés en le voyant non seulement s'enfermer chez lui lors de l'arrestation de Danton, mais encore courir ensuite faire une cour assidue à Robespierre, ennemi et bourreau de ce même Danton, aller jusqu'à éplucher les légumes de Mme Duplay, femme du menuisier chez qui vivait Robespierre.
Le 13 vendémiaire ralluma son étoile. Barras lui donna le commande ment du poste : situé au bas de la rue Vivienne, d'où avec deux obusiers il tira sur les sectionnaires de Feydeau. Cette journée lui fut une occasion de revoir Bonaparte et de se lier plus étroitement avec lui.
En 1796, il passa à l'armée d'Italie comme général de brigade, et y commanda une partie de la division de Masséna. A Saint-Michel, il déploya le plus brillant courage, au point que dans ce dernier combat il eut ses habits percés de sept balles.
20 avril 1796 : combat de San Michele di Mondovi
Après la prise du camp retranché de Ceva, les Piémontais,
se retirant sur Mondovi, résistèrent toute la journée du 19 au général
Serrurier, qui les attaquait dans leur position de Saint-Michel, sur la
Corsaglia. A l'époque, le pont était un peu sur la droite.
A Arcole, sa conduite est héroïque.
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Le célèbre tableau d'Horace Vernet et le pont actuel, sous le même angle.
Il se distingue ensuite à Rivoli, où il gagne son grade de général de division (nomination le 17 août 1797).
Sur le sommet d’un petit tertre entouré de grands cyprès, se trouvent quelques ruines d’un monument abattu par les Autrichiens en 1814 et primitivement érigé sur l’ordre de Napoléon en 1806.
Un monument en pierre
blanche a été érigé par le Souvenir français en 1967, au même endroit.
Ce monument a été érigé à l’emplacement d’un point de lutte acharnée entre les
soldats de Joubert et ceux de la réserve autrichienne du général Alvinczy.
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De même, à Feltre, à Bellune, en Carinthie, il se distingua ; et lorsque Masséna partit pour porter à Paris le traité de Leoben, il inaugura son nouveau grade de général de brigade, gagné sur le champ de bataille, en prenant l'intérim du commandement en chef. La paix de Campo-Formio le ramena en France.
En juin 1797, il achète le château de Saint-Just-Sauvage, qui s'appelle alors
Saint-Just.
Le Directoire, sur l'avis de Bonaparte lui-même, complotait alors la con quête de la Suisse, comme devant fournir une précieuse base d'opérations aux campagnes que le futur empereur projetait contre l'Allemagne ; de plus, l'expédition d'Égypte était prête, et l'argent manquait pour la lancer avec toute la sécurité voulue. Or on savait devoir trouver à Berne, dans le trésor fédéral accumulé depuis des siècles, le nombre de millions nécessaires. Enfin on en profiterait pour purger l'Helvétie des nombreux émigrés qui y organisaient librement complots sur complots.
Il fallait pour accaparer ce pays montagneux, dont la défense était rendue facile par le terrain lui-même, et aussi par le patriotisme de ses habitants, un général adroit, prudent, capable d'user à propos d'artifice et de violence, sans paraître vouloir autre chose que le bien des victimes. Brune fut aussitôt choisi. Il arriva en février 1798 à Lausanne et se donna comme pacificateur, exagérant les belles promesses et les assurances amicales ; puis, lorsqu'il eut bien endormi les soupçons et rassemblé ses forces, il se jeta sur le canton de Berne, envahit le territoire et, fit main basse sur tout ce qu'il y trouva. On évalue à quarante-deux millions les pertes du canton, sans compter les « prises », vols et concussions individuels. Le trésor de l'État, particulièrement visé, fut enlevé, et Brune, pour sa part, fut accusé par Mallet-Dupan, qui était témoin, de s'être adjugé les médailles d'or de l'hôtel de ville de Berne, vingt-deux carrosses et trois cent mille francs en espèces.
Par contre, son administration, après la conquête, fut telle qu'on la devait attendre d'un Français généreux. Il établit le jury, les municipalités, détruisit la plupart des servitudes féodales qui existaient encore. Il s'attira par ses bons procédés des louanges unanimes.
« Tout ce qui sait apprécier les hommes, lui écrivit Talleyrand, alors ministre des affaires étrangères en France, trouve que vous avez atteint la perfection de conduite en Suisse, et pense que les plus belles destinées vous sont réservées. »
La nomination de Brune au commandement en chef de l'armée d'Italie sembla confirmer cet heureux pronostic. Il partit pour Milan, mit à néant les combinaisons louches de l'Autriche, et s'employa à organiser la république cisalpine jusqu'à ce que, la guerre s'étant rallumée, Bonaparte fut envoyé en Italie pour la diriger.
De là, Brune passa en Hollande, ayant mission de repousser avec vingt cinq mille hommes le duc d'York, qui venait de débarquer avec quarante cinq mille Anglais, auxquels bientôt se joignit un corps russe.
Brune les battit à Bergen (à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest d'Amsterdam), organisa la belle retraite de Beverwijk, chassa du Zuiderzee la flotte anglaise, fit capituler le duc d'York et occupa le Helder. Tout cela en moins de deux mois et avec des forces disproportionnées.
Brune y gagna, en dehors d'une gloire incontestée, une armure complète, une épée d'honneur donnée par le premier consul après le 18 brumaire, et aussi le gouvernement de la Hollande. Une rue de Paris, auquel on donna le nom du Helder, rappelle encore aujourd'hui le souvenir de cette campagne remarquable.
Nous le voyons ensuite à Nantes, en mission dans les provinces de l'Ouest, toujours turbulentes, avec ordre de les pacifier. Il y parvint en partie par sa largeur d'idées ; mais il était temps que Bernadotte vînt l'y remplacer, car les caisses locales se vidaient rapidement, .sans que du reste on puisse affirmer que, dans cette occasion, ce fût à son profit personnel.
Revenu à l'armée d'Italie, Brune, malgré quelques succès comme la prise des camps de la Volta, n'y fut pas heureux. Il prit cependant Vicence, Montebello, Trévise, et signa un armistice qui prépara la paix de Lunéville.
Le 18 septembre 1802, il fut nommé ambassadeur à Constantinople.
Une escadre l'y conduisit en grande pompe, et il y fut reçu avec une rare magnificence. On a beaucoup incriminé sa hauteur et sa brusquerie militaire ad cours de cette mission diplomatique. Il est bien vrai qu'il n'y réussit pas entièrement, et que les minuties de l'étiquette ottomane reçurent par son fait des atteintes que la Sublime-Porte, très formaliste, ne put ou ne voulut point pardonner. Sa tâche, d'ailleurs, y était fort ardue au milieu des représentants des puissances rivales ou ennemies de la France. L'établissement de l'Empire vint encore la compliquer.
III - SA CARRIÈRE SOUS L'EMPIRE
L'ambassadeur, créé maréchal par le nouvel empereur à son avènement, reçut l'ordre de faire reconnaître celui-ci par le Divan, et d'obtenir pour lui, dans les communications diplomatiques, le titre de Padischah, accordé seulement jusqu'alors à l'empereur de Russie.
La Porte fit des difficultés ; Brune insista et les choses en arrivèrent au point qu'il demanda brusquement ses passeports, et revint par terre, au cœur de la mauvaise saison. Il arriva à Paris en mars 1805, et fut aussitôt envoyé à Boulogne pour y commander l'armée des côtes qui devait être transportée par la flottille occidentale sur le rivage britannique. Il y fit quelques expériences et quelques opérations, jusqu'au moment où Gouvion. Saint-Cyr vint le remplacer en 1807.
De Boulogne il gagna Hambourg en qualité de gouverneur des villes hanséatiques, et c'est là qu'eut lieu la fameuse conférence avec le roi de Suède, qui acheva de le perdre dans l'esprit de Napoléon.
Indépendamment de sa charge de gouverneur, Brune avait encore le commandement du Corps d'observation qui devait éventuellement s'opposer à la marche des Suédois ou à tout débarquement anglais. La paix de Tilsitt l'empêcha d'exercer aucune action en ce sens ; mais après la signature d'un armistice, le roi de Suède ayant refusé de reconnaître la durée de trente jours, ainsi que l'avait fait son plénipotentiaire le comte d'Essen, une rencontre fut ménagée entre le maréchal et le souverain.
Celui-ci, avec la plus outrageante inconscience, fit à Brune des ouvertures qui ne tendaient à rien moins qu'à le faire changer de drapeau. Brune, indigné, rompit la négociation et en rendit compte à l'empereur. Napoléon l'approuva naturellement, mais lui garda pourtant rancune de ce que le roi de Suède eût pu croire un instant au succès de ses propositions. De plus, dans une convention signée avec ce même roi, Brune avait toléré, sans d'ailleurs y prendre garde, qu'on écrivît : armée française au lieu de l'armée de Sa Majesté Impériale et Royale.* Ce fut le coup de grâce au crédit du maréchal.
On lui enleva son commandement, et il reçut l'ordre d'aller présider le collège électoral du département de l'Escaut.
En vain il récrimina contre cette disgrâce ; en vain il accabla l'empereur de protestations de dévouement et supplia Berthier de s'entremettre, rien n'y fit : Napoléon demeura inébranlable, et Brune se retira dans son château de Saint-Just, où il demeura loin de tout jusqu'en 1815, non sans avoir en 1814, par une hâtive soumission, obtenu de Louis XVIII la croix de Saint-Louis.
Durant les Cent-Jours, Napoléon, qui n'avait pas trop d'hommes, mais qui malgré tout ne voulait point se rapprocher de Brune, lui donna le commandement de l'armée d'observation du Var. Il y fut très sévère pour les manifestations royalistes.
Après Waterloo, il reste fidèle à ses idées. Jusqu'au 31 juillet 1815, il laisse flotter à Toulon le drapeau tricolore. Sa situation devint si pénible à la seconde restauration qu'il dut céder la place au marquis de Rivière, dont il obtint des passeports pour retourner chez lui. Sous la menace d'une inculpation, il décide de se rendre à Paris.
IV. SON ASSASSINAT
Le maréchal quitta Toulon le 1er août à 3 heures du matin, avec une escorte de chasseurs du 14e régiment et accompagné par le comte de Maupas.
Il est bon de rappeler en passant pour faire comprendre, mais non pour excuser le crime qui termine la carrière du maréchal Brune, que les passions étaient alors particulièrement excitées dans le midi de la France. Les partis en venaient aux mains presque partout, et les plus graves désordres s'étaient produits déjà, à Avignon notamment, où des invalides avaient été massacrés sans merci.
A coup sûr, il ne faut pas attribuer directement ces horreurs à la consciente initiative des Bourbons et de leur entourage ; mais la tiédeur qu'ils mirent dans la répression leur assigne une part de complicité, tout au moins rétrospective, dont on ne saurait les absoudre.
Il semble que la vérité soit telle des misérables, sans feu ni lieu, faisaient profession de soulever les villes et d'y jeter le trouble, afin de mieux piller et se venger d'hypothétiques injures. Quelques meneurs de plus haut vol les excitaient dans un but « moral », et le pouvoir, qui parfois profitait de leurs actions, trop heureux d'en recueillir le bénéfice en leur en abandonnant la responsabilité, laissait faire avec une étrange complaisance.
Quoi qu'il en soit, voici, d'après son aide de camp, le récit de l'assassinat du maréchal Brune, forfait lâche et odieux qu'on rougit de rencontrer dans notre histoire.
On avait prévenu le maréchal que des troupes armées complotaient sa perte, et que des embuscades lui étaient tendues le long de sa route. Il ne s'en soucia point, et refusa de s'arrêter ou de changer de chemin.
A Aix, une première tentative se produisit les glaces de sa voiture furent brisées, des pierres lancées, des groupes formés autour de lui; mais les chevaux, mis au galop, s'éloignèrent, et le "guet-apens n'eut aucun effet. On arrive à la porte d'Avignon le 2 août, entre 10 et 11 heures du matin. Le poste de la garde nationale arrête les voyageurs et demande les passeports ; ils sont trouvés suffisants, et les voitures s'avancent vers l'auberge du Palais-Royal, placée à petite distance de la porte de la ville. En moins de cinq minutes les chevaux sont changés, malgré une faible opposition de quelques hommes rassemblés devant l'hôtel. On allait partir ; mais tout à coup le maréchal est requis de remettre son passeport, qui doit, dit-on, être soumis au visa du commandant du département. Pur prétexte `pour gagner le temps nécessaire aux apprêts du forfait prémédité ; car il est à remarquer que cène fois on ne songea pas à demander aussi les passeports des aides de camp pour leur faire subir la même formalité. Plus de vingt minutes s'étaient écoulées, et le passeport ne- revenait pas. Cependant le rassemblement grossissait d'une manière alternante. Le tumulte allait croissant ; d'affreuses clameurs se faisaient entendre. Le baron de Saint-Chamans, nouveau préfet de Vaucluse, arrivé à Avignon depuis quelques heures, se trouvait encore dans l'hôtel du Palais-Royal. Rempli d’inquiétude sur la position du maréchal, il lui dit ou fit dire qu'il n'y avait pas un moment à perdre, qu'il devait s'éloigner au plus vite, et que son passeport lui serait envoyé à Orange. Les voitures se mettent en mouvement ; mais à peine ont-elles fait quelques pas hors de la ville que la garde de la porte, suivie d'une populace furibonde, se précipite armée sur le chemin et s'oppose à leur marche sous le prétexte que le maréchal ne peut partir sans passeport. Peu après, un conseiller de préfecture vient annoncer tristement au maréchal qu'il ne peut plus continuer sa route, et qu'il faut de toute nécessité rentrer en ville. Et, en effet, on apercevait à quelque distance en avant un rassemblement immense occupant tout l'espace entre la ville et le Rhône, qui rendait tout progrès impossible. Les voitures reviennent en arrière, escortées par une foule furieuse, qui célèbre par des hurlements atroces ce facile triomphe.
Dans ce tumulte, les voitures sont séparées. Celle du maréchal est con duite à la porte principale de l'auberge du Palais-Royal, qui s'ouvre pour lui, et qui bientôt, grâce aux efforts de l'honnête et courageux Molin, maître de l'hôtel, est aussitôt refermée et barricadée.
La voiture des aides de camp est conduite par une autre entrée dans une petite cour de l'hôtel, à l'instant remplie par la foule. On les fait descendre; ils parviennent non sans peine à toucher une porte qu'ils supposent être une des issues du bâtiment dans lequel se trouve leur général, dont ils veulent partager er tous les dangers, unique et dernière marque de dévouement qui leur reste à lui donner. Molin, qui les entend, ne consent point à leur ouvrir cette porte. Il craint avec raison qu'ils ne soient suivis par ces furieux, dont le nombre rendrait nulle toute résistance.
Cependant la rage effrénée de la multitude qui remplit la place et les p rues adjacentes est arrivée au plus haut degré. Les issues de l'hôtel de ce côté sont attaquées à coups de hache ; on essaye de mettre le feu à la maison. Une échelle est appliquée pour pénétrer par les fenêtres supérieures. Le préfet et le maire s'épuisent en vains efforts, en exhortations, qui ne peuvent se faire entendre. Quelques tentatives de résistance de la part de la gendarmerie ralentissent seulement l'attaque par intervalles.
A la fin, plusieurs hommes déterminés étaient parvenus par les toits des maisons voisines dans les combles de l'hôtel. En peu d'instants ils furent dans la chambre du maréchal.
Pendant ce temps, Brune, pressentant sa dernière heure,
relisait les lettres de sa femme. Les assassins le surprennent dans cet
entretien suprême avec celle qu'il aimait. Il est debout contre la croisée.
« Vous êtes le maréchal Brune ? demande l'un d'entre eux.
— Que me voulez-vous? demande froidement le maréchal en déchirant les lettres
qu'il tient dans ses mains. Vous êtes l'assassin de Mme de Lamballe? » reprend
le sicaire.
Ici deux versions ; les voici l'une et l'autre :
1° Brune désavoue avec indignation le crime dont on l’accuse, affirmant
hautement qu'il n'a jamais donné la mort que sur les champs de bataille aux
ennemis de la patrie.
2°Brune, qu'on a d'ailleurs souvent, mais sans preuves, accusé, d'avoir pris une
part active aux hécatombes révolutionnaires, se montre atterré de ce qu'il
entend, et balbutie : « C'était un temps...
— Et celui-ci en est un autre !... » s'écrie le jeune homme en se retirant.
La première est de beaucoup la plus vraisemblable, il est presque inutile de le constater.
Quoi qu'il en soit, le maréchal demande du papier pour écrire à sa femme ; on le lui refuse. Il demande ses armes pour mettre fin à ses jours ; même refus.
Un ouvrier taffetatier, nommé Fares rajuste et le manque.
« Ôte-toi de là, dit le portefaix Guindon ; je vais te montrer comment on abat ces oiseaux-là!... »
Il tire, et le maréchal tombe, la partie inférieure de la tête traversée de part en part.
Une représentation de l'assassinat du maréchal Brune.
L'un des assassins ouvre alors la croisée et annonce ce triomphe la foule applaudit.
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Un cercueil bientôt arrive là où n'avaient pu arriver les secours. On y jette le corps pantelant pour le porter à la caserne 'de cavalerie ; mais les cannibales n'entendaient pas lâcher si vite leur proie. Ils se ruent sur la dépouille, la traînent par les rues une corde au cou, et, fatigués de ce jeu, la précipitent dans le Rhône, non sans avoir égorgé trois invalides que leur malheur avait placés sur le chemin de l'horrible cortège. Détail immonde, le soir même, les « dames » d'Avignon, mêlées aux femmes de la plus vile populace, vinrent sur la place danser une farandole de réjouissance!
Le lendemain, un crayon inconnu alla inscrire sur une pierre du pont du Rhône : C'est ici le cimetière du maréchal Brune.
On voulut établir par un faux procès-verbal que Brune s'était suicidé ; mais personne ne fut dupe d'une aussi grossière imposture.
Le cadavre avait échoué sur la rive près de Tarascon. Deux anciens militaires s'en furent en cet endroit, creusèrent un trou et y enterrèrent le maréchal. Or, en 1815, en plein XIXe siècle, en France, il se trouva des monstres pour aller le déterrer et monter la garde autour du corps afin d'empêcher qu'on l'inhumât de nouveau ! Ce ne fut que quelques mois après, lorsque cette hideuse faction eut pris fin, qu'un propriétaire des environs recueillit les pauvres restes méconnaissables et les porta lui-même en grand mystère à Paris, où la veuve du malheureux les reçut avec reconnaissance et les dissimula dans sa propre maison.
Le secret même de cette démarche n'est-il pas, pour ceux dont on redoutait l'opposition, une charge et une flétrissure terribles !
La maréchale Brune avait, à force d'instance, provoqué des poursuites contre les assassins, dont fut saisie la cour de Riom.
Le 25 février 1821, près de six ans plus tard, Guindon, dit Rochefort, fut condamné, — PAR CONTUMACE - à la peine capitale ; et la cour, par une odieuse dérision, osa condamner la maréchale à tous les dépens du procès...
En 1829 seulement, au château de Saint-Just, le 3 janvier, deux jours après la mort de la maréchale, on put sortir de la funèbre cachette ce qu'on avait sauvé du vainqueur de Bergen, et conduire les deux cercueils au lieu de l'éternel repos.
* La cause exacte de sa disgrâce n'est pas entièrement claire.
Après beaucoup de difficultés, sa veuve récupéra sa dépouille. Elle la garda dans leur château jusqu'à sa mort, en 1829. L'inscription sur le monument funéraire y fait d'ailleurs allusion.
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Les époux furent ensuite réunis dans la tombe au cimetière de Saint-Just-Sauvage (Marne).
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MODESTE |
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REPOSE |
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TERRAIN |
V. — JUGEMENT DE NAPOLÉON
A Sainte-Hélène :
« Brune fut injustement accusé d'avoir abusé de ses pouvoirs en Suisse ; mais
l'histoire lui rendra justice... »
« Brune fut à juste titre proclamé le sauveur de la république batave. Les
Romains lui eussent décerné les honneurs du triomphe. En sauvant la Hollande, il
a sauvé la France de l'invasion... »
« Brune était un déprédateur intrépide. »
ÉTATS DE SERVICE DE
GUILLAUME-MARIE-ANNE BRUNE
NÉ LE 13 MAI 1763, A BRIVE (CORRÈZE)
GRADES, CORPS ET DESTINATIONS
Adjudant-major au 2e bataillon de Seine-et-Oise, en 1791; adjoint aux
adjudants-généraux , 3 septembre 1792 ; adjudant-général , 12 octobre 1792 ;
général de division , 17 août 1797 ; général en chef de l'armée d'Italie, 8 mars
1798 ; général en chef de l'armée de Hollande, 13 octobre 1798 ; général en chef
de l'armée de l'Ouest, 14 janvier 1800 ; général en chef de l'armée de réserve,
5 mai 1800 ; général en chef de l'armée d'Italie, 13 août 1800 ; conseiller
d'État, 4 décembre 1801 ; ambassadeur en Turquie, 23 septembre 1802 ; maréchal
de l'Empire, 19 mai 1804 ; général en chef de l'armée des côtes, 1er
septembre 1805 ; gouverneur-général des villes hanséatiques, 15 décembre 1806 ;
gouverneur de la 8e division militaire, 1815. Mort à Avignon, 2 août
1815.
CAMPAGNES
Aux armées du Nord, des côtes de Cherbourg, de l'Ouest, de-Batavie et d'Italie.
DÉCORATIONS
ORDRE DE LA LÉGION D'HONNEUR
Chevalier, 2 octobre 1803 ; grand officier, 14 juin 1804; grand-croix, 2 février
1805.
ADDITIONS AUX SERVICES ET DÉCORATIONS
Chevalier de Saint-Louis, 1814; pair de France, 1815.
Le maréchal Brune aurait dû avoir sa statue, par le sculpteur Séraphin, dans une des niches du Louvre, rue de Rivoli. Mais la statue ne fut pas réalisée avant la Grande Guerre, et le programme fut abandonné après la victoire.
On a souvent écrit que Brune n'avait reçu aucun titre de noblesse: c'est une erreur. Nommé pair de France pendant les Cent-Jours, il devenait ipso facto comte de l'Empire, mais il n'eut pas de lettres patentes, ni d'armoiries.
Texte : d'après
de Beauregard, Gérard, Les
Maréchaux de Napoléon, Mame, Tours, s.d. (1900).
Collection
Hachette : Maréchaux d'Empire, Généraux et figures historiques (Collection de
l'auteur)
© D. Timmermans