Une dotation controversée

 

L'Histoire n'a pas arrêté son cours le soir du 18 juin 1815. Les restaurations de tous les trônes d'Europe, en pleine révolution industrielle, ont accéléré tant les prises de conscience prolétariennes que les requêtes nationales. Comme à Paris en 1789, en 1830, on passe de la révolte à la révolution à Bruxelles, à Varsovie, à Paris et, dix-huit ans plus tard, à Vienne, à Budapest, à Paris, on «remet» cela.

 

La France n'est plus un contre-poids à la Grande-Bretagne, pas davantage l'Allemagne et l'Italie, en lent processus d'unification. L'Espagne non plus qui, à l'intérieur, s'épuise en guerres monarchistes et, à l'extérieur, en vaine défense de son empire colonial américain. Par conséquent, l'Union Jack, au mât de multiples navires, pendant cent ans, assura la prépondérance économique et financière mondiale du pays de la livre sterling. C'est l'époque du «Rule Britannia» - ou de la «domination britannique» - à laquelle la flotte et l'armée contribuent, mais pour trouver des troupes, l'insulaire Albion, manquant d'hommes, doit recruter un peu partout dans le monde.

Ce slogan et cette réalité de tout un siècle font sans doute oublier à certains les morts dans les guerres civiles et étrangères, aussi nombreux que sous l'empire napoléonien. On lit en effet, dans une salle didactique du musée Wellington à Waterloo, que «la victoire de Waterloo a assuré cent ans de paix à l'Europe» ; mais, semble-t-il, cette salle fut offerte au musée par l'office britannique des musées d'outre-mer, sans que les responsables locaux en soient responsables.

20.000 FLORINS

 

Les majorais, très utilisés par Napoléon, consistaient à attribuer l'usufruit de biens domaniaux à titre de reconnaissance, cet avantage étant souvent lié à l'attribution d'un titre nobiliaire. Dès le 8 juillet 1815, le roi Guillaume 1er, heureux que la victoire de Waterloo ait sauvegardé l'annexion des Pays-Bas méridionaux, attribua à Arthur Wellesley, duc de Wellington, le titre de prince de Waterloo, transmissible «de mâle en mâle par primogéniture».

Dès le 29 septembre de la même année, il instituait une dotation de 20.000 florins sous forme de l'usufruit, c'est-à-dire des fermages de biens ayant appartenu aux chanoinesses de Nivelles et au duché de Brabant, et qui ne sont pas situés sur le champ de bataille de Waterloo. Jusqu'à présent, cette dotation a rapporté à huit ducs successifs, l'équivalent d'environ 900 millions de francs belges de 1995 (± 150 millions de FF ).

 

Certes, le 8e duc de Wellington n'est pas un mauvais bailleur ; ses 80 fermiers jugent leurs fermages raisonnables. Ils sont heureux d'être de temps en temps invités au domaine de Stratfield Saye en Angleterre et honorés d'appeler le duc Altesse ou Sa Grâce, ignorant qu'une disposition pénale de l'arrêté du 8 juillet 1815 les y oblige : «quiconque ne fera pas précéder le tire de prince de Waterloo du prédicat d'Altesse sera passible d'une amende d'une livre d'or fin» (400.000 FB de nos jours).

Plus désagréable est parfois le comportement du 8e duc et prince qui hérita du titre en 1973. Comme si l'histoire s'était arrêtée en 1815, il veut donner une image plus britannique du champ de bataille, au risque de confondre les époques et les alliances, faisant deux fois le choix de la date anniversaire du débarquement du 6 juin 1944, pour accueillir la reine-mère, Mary (le 6 juin 1986), et la reine Elizabeth II (le 7 juin 1993 : le dimanche 6 eut été inadéquat pour des Britanniques religieux).

CONTROVERSE

 

Depuis 1874, en la personne du ministre Malou, et jusqu'aujourd'hui, des universitaires, des juristes, des hommes politiques, s'en sont pris à cet avantage obsolète, comme l'avaient fait en 1831 les négociateurs belges du traité de Londres qui reconnaît la Belgique,

mais la question reste controversée :

• « Périodiquement depuis un siècle, l'un ou l'autre parlementaire en mal de publicité, interpelle le gouvernement belge sur la survivance «anachronique et féodale» (sic) de la dotation Wellington. Invariablement, et à juste titre, le ministre des Finances oppose à la démagogie, le respect du droit et des traités ». (J. Logie, L'évitable défaite, éd. Duculot, Gembloux, 1984, p. 190).

• Autre son de cloche : « plus de cent septante ans après Waterloo et plus de cent cinquante ans après l'indépendance de la Belgique, il est temps que cette rente disparaisse, même si son montant n'est vraiment pas de nature à mettre les finances belges en péril. Il s'agit d'une survivance, d'autant plus curieuse qu'elle est la seule de son espèce, d'autant moins compatible avec les principes généraux du droit actuel qu'elle est liée à un titre de noblesse transmissible de façon restrictive ; d'autant plus gênante dans un état démocratique, qu'elle récompense la victoire du porte-glaive des réactionnaires du Congrès de Vienne, pour qui les vœux des peuples étaient lettre morte. Face à ces attardés, vive l'Empereur ! Ou vive la Nation ! » (dixit J.P. Masson dans «Le Journal des Procès», Bruxelles, n° 98, 09/01/1987, p. 9).


Les droits acquis

Ce problème est d'une complexité juridique considérable. En effet, l'article 113 nouveau de la Constitution belge n'autorise pas à assortir un anoblissement de privilèges. La transmission du titre de prince de Waterloo n'a pas toujours res­pecté la règle de la primogéniture. Des avan­tages comparables en faveur de descendants de l'amiral Nelson, du prince Blùcher, du duc de Wellington semblent avoir été supprimés en Angleterre, aux Pays-Bas, en Espagne et au Portugal...

De plus, il y a, ou plutôt il y avait la rente ! Quant J.P. Masson emploie le terme «rente», il devrait écrire «dotation». La rente était une inscription de 100.000 BEF au budget de la dette publique en faveur du duc de Wellington consécutive à l'autorisation accordée au premier duc, de défricher et de vendre du bois.

Ici aussi, il y a controverse. Les deux avis :

 

•  Depuis 1817, cette rente n'a pas été indexée, cela aux dépens du duc, et sa bonne gestion a protégé l'environnement !

•  En étant autorisé à défricher, le duc a pu multiplier par quatre les fermages, bien plus élevés pour des terres arables que pour des bois. Il a protégé l'environnement ? N'a-t-on pas trop défriché au contraire ? Des plans de secteur ne suffisent-ils pas à protéger ces terres éloignées des centres urbains ? En vertu d'un accord secret (!) de 1986, entre le ministère des Finances et le duc, la rente a disparu. Bref, on a fait fondre la partie visible de l'iceberg sans toucher au principal.

Clôturons ce point en rassurant les fermiers. Si la dotation disparaissait elle aussi, pour l'une ou l'autre raison, un décret de la Région wallonne pourrait maintenir les droits acquis aux actuels locataires.

 

J.-E. H.







 

 

 

 

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