Saragosse

15/06/1808- début 1er siège de Saragosse (>15/08/1808)

1er siège de Saragosse

Le général Lacoste, aide de camp de Napoléon, commence les préparatifs, amenant notamment une forte artillerie, que commande le général Dedon-Duclos. Ce dernier a réuni soixante bouches à feu, et fait construire sur le haut Èbre un pont de bateaux destiné à faire communiquer entre eux les différents quartiers de l'armée. Les renforts espagnols sont battus à Épila à 30 km de la ville, mais Saragosse continue de tenir.

Le 26 juin, c'est le général Verdier, à la tête de sa division, qui prend le commandement du siège. Remportant le mont Torrero le 28, Verdier commence à bombarder Saragosse le 1er juillet. La place riposte fortement, et Verdier demande des troupes supplémentaires.

Le 11 juillet, les Français passèrent l'Èbre, grâce aux travaux exécutés par Dedon. La ville peut être investie à la fin de juillet. Cependant les effectifs français sont trop faibles pour un encerclement complet et la ville peut accueillir quelques renforts2. Dedon établit alors sept batteries contre le couvent de Santa Engracia menaçant le front entre ce couvent et la porte du Carmen, et en flanc le couvent des capucins Trinitaires.

À la suite du nouveau bombardement du 3 août, les Français s'emparent de la moitié de la ville le 4. Verdier blessé, c'est Lefebvre qui reprend le commandement, et qui bat l'armée de secours. Le 7 août, les Espagnols reçurent un renfort de 3 000 hommes et des munitions. L'assaut de Saragosse par Janvier Suchodolski. La nuit du 7 août, Lefebvre reçoit une lettre du roi Joseph qui lui ordonne de lever le siège, lui-même évacuant Madrid, après la défaite de Bailén ; le jour suivant, Castaños arrive d'Andalousie avec 25 000 hommes, mais les Français sont déjà partis de Saragosse.


https://fr.wikipedia.org/wiki/Si%C3%A8ge_de_Saragosse_(1808)

15/08/1808 fin 1er siège de Saragosse

 

20/12/1808 début 2ème siège de Saragosse (->20/02/1809)

L'épisode le plus remarquable de la dernière guerre d'Espagne, est, sans contredit, le siège de Saragosse.  L'histoire moderne n'offre aucun exemple d'une telle résistance; et dans l'histoire ancienne on ne trouve que Sagonte et Numance dont l'héroïque constance puisse se comparer à celle de la capitale de l'Aragon.  Ainsi, dans tous les temps, l'Espagne a semblé destinée à donner la mesure de ce que peut une nation généreuse, exaltée par l'amour de la patrie et la haine de l'oppression étrangère. 

Communément, dans une place assiégée, et quelle qu'ait été la défense, tout paraît perdu lorsque l'enceinte est forcée; une prompte capitulation est alors la seule ressource qui reste à la garnison.  Ce préjugé, complètement faux d'ailleurs, mais si favorable aux assaillants, n'atteignit point les défenseurs de Saragosse.  La perte de leurs ouvrages avances, celle de l'enceinte de la ville, n'ébranlèrent point leur inflexible courage.  Plus terribles que jamais, bravant l'explosion des mines qui les engloutissaient , ils n'en combattirent qu'avec plus de furie de maison en maison, d'étage en étage, de chambre en chambre, et n'abandonnèrent enfin les ruines de cette malheureuse cité que lorsqu'elle ne fut plus qu'un vaste cimetière où gisaient cinquante-quatre mille cadavres. L'honneur d'une défense si glorieuse appartient tout entier aux Aragonais, qui, seuls, composaient la garnison.  Elle est une nouvelle preuve du caractère de ce peuple, dont l'opiniâtreté est passée en proverbe (Pour donner une idée de l'entêtement du Biscayen, les compositeurs espagnols de caricatures les représentent enfonçant un clou dans un mur à coups de tête.  Pour rendre celui de l'Aragonais, on le peint dans la même attitude, mais la pointe du clou tournée vers le front !)

La révolte de Madrid (2 mai), signal de l'insurrection espagnole contre les Français, avait provoqué celle des Aragonais.  Dans toutes les parties de la Péninsule, les premiers symptômes de la révolution furent la mort on l'arrestation des principales autorités, comme si le peuple eût voulu se donner des garanties de sa désobéissance. 

Le gouvernement, qui recevait ses instructions de Bayonne, soit de Ferdinand VII, soit de Charles IV, lorsque le fils eut rétrocédé la couronne à son père, voulait subir le joug, et avait reconnu le prince Murat pour lieutenant-général du royaume.  Mais, ainsi qu'il arrive toujours, la nation, moins tolérante que ses gouvernants sur les concessions à la nécessité, plus jalouse de l'indépendance nationale, ne transigea point, et en dépit de ses princes, elle préféra périr sous les ruines de la patrie que de consentir à son asservissement. 

A Saragosse, les excès auxquels se porta d'abord le peuple furent moins sanglants que dans la plupart des autres villes.  Il se contenta de mettre en arrestation le capitaine général Guillermi, trop dévoué aux ordres transmis de Madrid, et investit du gouvernement civil et militaire de l'Aragon don Joseph Palafox y Melzi.  Ce jeune homme, de vingt-huit ans, officier des gardes-du-corps, d'une des familles les plus distinguées de cette province, s'était échappé de Bayonne, où il avait suivi le roi, et depuis quelque temps habitait une campagne voisine, lorsque le peuple, dont il possédait la confiance, vint le chercher dans sa retraite.  Dès l'instant que les Aragonais eurent un chef de leur choix, toutes les convulsions populaires cessèrent, la soumission la plus aveugle remplaça l'insubordination la plus complète, et la volonté générale se porta impétueusement vers la guerre à faire aux Français. 

L'Espagne était en feu, et les troupes françaises, trop peu nombreuses faisaient de vains efforts pour comprimer l'insurrection.  Le général Lefebvre-Desnouettes se porta de Pampelune sur Saragosse.  Palafox marcha à sa rencontre avec huit à dix mille hommes de troupes de nouvelle levée pour l'arrêter au passage de l'Èbre; mais battu à Maillen et à Alagon, il fut contraint de rentrer dans Saragosse, devant laquelle les Français se présentèrent dans les premiers jours du mois de juin par la rive droite. 

Cette ville, située sur la rive droite de l'Èbre, avec un faubourg sur la rive gauche, et contenant cinquante mille habitants, n'était point une place de guerre.  Dépourvue de toute fortification, elle n'avait pour défense qu'un mur d'enceinte tenant aux maisons haut de dix à douze pieds, de dix-sept cents toises de développement, bâti dans le seul but d'empêcher la contrebande.  Mais les nombreux couvains construits en pierre de taille, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur de ses murs, la solidité de ses maisons, toutes voûtées, rendaient facile l'établissement d'un système de défense redoutable. 

Lorsque le général Lefebvre-Desnouettes arriva sous ses murs, aucun ouvrage n'était encore élevé.  Cependant comme il avait peu de troupes avec lui, et connaissait les dispositions de la population en armes, il ne voulut point d'abord tenter d'attaque sérieuse, attendant des renforts.  Les habitants profitèrent de l'hésitation des Français.  Ils se hâtèrent de créneler le mur d'enceinte, établirent des épaulements sur les différentes avenues, élevèrent des batteries aux portes, et préparèrent chaque maison pour une vigoureuse résistance. 

Pendant ce temps, le général Palafox essaya de tenir la campagne pour forcer les Français à s'éloigner de Saragosse.  Étant sorti de la ville par la rive gauche, il se réunit à Belchite au baron de Versage, et avec dix mille hommes se porta sur Epila par Almunia.  Instruit de sa marche, le général Lefebvre-Desnouettes détacha trois mille hommes qui, le 23 juin, ayant surpris les Espagnols à neuf heures du soir, les mirent dans une déroute complète, et leur firent éprouver une perte de trois mille deux cents hommes.  Palafox, avec les débris de ses troupes, se réfugia dans Saragosse, et les Français ayant reçu de l'artillerie et des munitions, investirent la ville. 

Après une double attaque, le couvent de Saint-Joseph fut emporté par les Polonais.  Cette brave troupe prit également d'assaut celui des Capucins; les défenseurs se battirent dans l'église, dans le cloître, dans les cellules, et n'abandonnèrent l'édifice qu'après y avoir mis le feu.  Le Monte-Torero, où se trouvaient des magasins et des ateliers pour le service du canal qui vient de Tudela, et défendu par douze cents habitants de Saragosse tomba également au pouvoir des assiégeants après une courte résistance.  Le commandant se retira dans la ville, où il fut jugé et fusillé. 

Le 2 août, les Français étaient maîtres de tous les dehors de la place.  Sommé de se rendre, le général Palafox rejeta toute offre de capitulation, et l'on battit en brèche sur l'enceinte. 

Le 4, elle fut jugée praticable, et l'assaut ordonné.  Le couvent de Santa-Rengracia emporté, les assiégeants pénétrèrent dans la rue de ce nom, et s'étendirent jusqu'à l'extrémité qui aboutit au Cosso (Le Cours :  c'est une large rue à peu près comme le boulevard qui traverse Paris de l'ouest à l'est, qui divise en deux une partie de Saragosse.)  Ayant voulu arriver au pont qui unit la ville au faubourg, ils se trompèrent de direction, et s'étant imprudemment enfournés dans une ruelle tortueuse, ils trouvèrent des obstacles inattendus-, une vive résistance, et furent contraints de revenir sur leurs pas, après une perte considérable.  Ils se bornèrent alors à l'occupation de l'hôpital-général et du couvent de Saint- François, qui formaient les deux angles de la rue Santa-Engracia, et s'établirent sur un des côtés du Cosso; les Espagnols tenaient les 1 maisons de la ligne opposée.  Séparés ainsi par une simple rue, les deux partis semblaient l'être par un grand fleuve, tant ils se sentaient forts dans leur position respective. 

Si le désordre inséparable d'une prise par assaut n'avait pas affaibli l'offensive des assiégeants, Saragosse fût tombée ce jour-là en leur pouvoir; mais beaucoup de soldats s'étant dispersés par l'attrait du pillage, les assiégés, qui s'en aperçurent, se remirent bientôt de leur premier effroi:  redoublant leurs efforts, ils devinrent à leur tour assaillants, et arrêtèrent tout-à-coup les progrès de leurs ennemis. 

Le général Verdier, qui avait remplacé le général Lefebvre-Desnouettes, voyant l'attitude redoutable des Espagnols, qui de chaque maison faisaient autant de forteresses, ne voulut point risquer une seconde attaque générale ; il craignait avec raison que ses troupes, déjà peu considérables, obligées de se diviser pour assaillir plusieurs points, ne pussent résister à un ennemi plus nombreux et si déterminé.  Il se borna à fortifier sa position et chercha à gagner du terrain plus méthodiquement et avec moins de risque.  Mais cette guerre de maison en maison, où l'on n'employait pas encore la mine, était longue et donnait de grands avantages aux assiégés.  Quatre maisons seulement furent prises du 4 au 14 août, et une seule coûta six jours de combats. 

Pendant que ceci se passait dans l'Aragon, les Français étaient battus à Baylen, le roi Joseph quittait Madrid, et les Espagnols repoussaient sur l'Èbre leurs ennemis, trop faibles pour leur résister.  Le général Verdier, instruit que l'armée valencienne accourait an secours de Saragosse, craignant pour sa retraite s'il restait plus longtemps dans la position difficile où il se trouvait, évacua la ville dans la nuit du 14 au 15 août.  Fiers de leur glorieuse résistance, les Saragossans célébrèrent leur victoire par des actions de grâces qu'ils rendirent avec la plus grande solennité à Notre-Dame du Pilar, patronne de la ville, à laquelle ils attribuaient tous leurs succès.

Quoique le général Palafox n'eût fait preuve," ni d'un grand talent, ni d'une grande activité pendant ce premier siège de Saragosse, et que le succès qu'il venait d'obtenir fut dû au dévouement et au courage individuel des Aragonais (1), il n'en continua pas moins à jouir de toute leur confiance.

(1) Ce général, plus fanfaron qu'habile homme de guerre, et qui a défendu Saragosse à peu près comme Notre-Dame du Pilar, écrivait aux habitants de Madrid: « Aussitôt que je me serai débarrassé de la canaille qui a osé attaquer mes murailles, je volerai à votre secours. J'ai à peine assez de temps pour nettoyer mon épée, toujours teinte du sang de ces misérables.»  Malgré nos recherches, nous n'avons pu découvrir si effectivement ce modeste guerrier sut rougir une seule fois son épée du sang français.  Nous verrons plus loin que la demeure qu'il avait choisie pendant le dernier siège ne lui permit guère de satisfaire la fougueuse témérité dont il faisait parade. 

Quelque grand toutefois que fût le pouvoir du gouverneur, le peuple n'en conservait pas moins de fait une partie de l'autorité exécutrice; et le chef qu'il s'était donné ne fut le plus souvent que l'instrument de ses caprices ou de ses vengeances. C'est ainsi qu'à toutes les horreurs du siège vinrent se joindre de sanguinaires exécutions. Le plus léger soupçon, une simple dénonciation, la moindre apparence d'égoïsme dans les sacrifices aux circonstances, étaient des arrêts de mort.  Heureux ceux qui, prévenus de tels délits, pouvaient se faire oublier dans les cachots de l'inquisition !

Dès que les Français se furent éloignés de Saragosse, Palafox, libre de ses opérations, parcourut l'Aragon, et accéléra par tous les moyens la levée et l'armement de nouvelles troupes.  Bientôt trente-cinq mille hommes se réunirent sous ses ordres, et il se disposa à se joindre au général Castaňos, qui s'avançait de Madrid pour attaquer les Français établis dans la Navarre.  Pendant ce temps les Saragossans élevaient d'imposants et nombreux ouvrages autour de leur ville.  A l'extérieur, ils fortifiaient toutes les positions qui pouvaient la protéger:  les maisons, les arbres, les jardins, tout était rasé, afin que les attaques de l'ennemi ne fussent favorisées par aucun couvert.  A l'intérieur, des traverses, des batteries étaient placées, des coupures étaient faites dans toutes les rues près des murailles.  On construisait des blindages dans les places et les principales rues.  Tous les couvains devenaient autant de citadelles ou places d'armes.  Les maisons étaient crénelées; les portes et fenêtres du rez-de-chaussée murées; des ouvertures à l'intérieur, pratiquées pour la facile communication des défenseurs, d'une maison dans l'autre; de sorte que chaque île fut transformée en une espèce de forteresse qu'il fallait assiéger successivement.  La plus grande activité régnait en même temps dans toutes les classes de citoyens.  Les femmes étaient employées aux ateliers d'habillement; les moines faisaient des cartouches, et ceux des hommes qui ne travaillaient pas aux fortifications s'exerçaient au maniement des armes. 

Cependant les succès des insurgés avaient été de courte durée.  L'empereur Napoléon venait d'entrer en Espagne à la tête d'une armée formidable, et marchait sur Madrid.  Déjà les armées espagnoles d'Estrémadure et de Galice, battues à Espinosa et à Burgos (10 novembre), laissaient la capitale à découvert.  Le 23 novembre, les corps réunis des maréchaux Moncey et Lannes se portèrent sur l'armée aux ordres de Castaňos et de Palafox, en position près de Tudela; elle fut aussi battue, et perdit sept mille hommes et trente pièces de canon.  Pendant que Castaňos, poursuivi par le maréchal Lannes, faisait sa retraite sur Madrid, le corps aragonais, suivi par le maréchal.  Moncey, fuyait vers Saragosse avec une telle vitesse, que plusieurs fuyards, partis du champ de bataille à trois heures après midi, arrivèrent à minuit dans cette ville, ayant ainsi fait dix-huit lieues en neuf heures.

Le maréchal Moncey qui avait à peine quinze mille hommes, fut contraint de s'arrêter à Alagon pour préparer des subsistances, organiser un équipage de siège, et attendre les renforts qui lui étaient indispensables pour l'investissement de Saragosse.  Les Aragonais, revenus de leur première terreur, mirent ce délai à profit pour réorganiser leur armée , faire de nouvelles levées, augmenter leurs fortifications, et s'approvisionner de toute espèce de munitions. Le 19 décembre-, le cinquième corps, sous les ordres du maréchal Mortier, s'étant joint au troisième, on se jugea assez fort pour investir Saragosse, et commencer le siège dès qu'on aurait enlevé les ouvrages avancés.  Le 20 au soir, les corps français occupaient les positions autour de la place sur les deux rives, le maréchal Moncey sur la rive droite, le maréchal Mortier sur la rive gauche. 

Saragosse était l'espoir de l'Espagne.  Toute la nation se rappelait avec orgueil que les premiers efforts - des Français contre cette ville avaient été déjoués par les habitants pendant plus de deux mois.  Le succès de cette entreprise, le caractère belliqueux des Aragonais , les nouvelles fortifications dont ils avaient enceint leur capitale, les troupes nombreuses qui y étaient rassemblées, la confiance aveugle qu'ils plaçaient dans les paroles de leur chef et des prêtres, qui leur promettaient encore l'efficacité de la protection de Notre Dame du Pilar, tout concourait à entretenir les Espagnols dans l'opinion que cette place était un boulevard contre lequel irait se briser de nouveau l'impétuosité française.

L'armée assiégeante s'élevait à trente-et-un mille hommes.  Le cinquième corps, fort de dix-sept mille, ne devait prendre part qu'aux opérations indispensables pour le blocus; les quatorze mille qui formaient le troisième corps étaient destinés à exécuter tous les travaux du siège, auquel étaient employées six compagnies d'artillerie, huit de sapeurs, trois de mineurs, quarante officiers du génie, et soixante bouches à feu.  Le général Dedon commandait l'artillerie, et le général Lacoste le génie. Lorsque celui eut été tué, ce commandement passa au colonel Rogniat.  L'armée assiégée était de trente-cinq mille hommes, dont douze mille d'anciennes troupes, le reste, de milices qui avaient servi dans le premier siège ou levées et exercées depuis.  Quinze mille paysans des environs ou habit tans de la ville, enrégimentés, concouraient à sa défense avec encore plus d'ardeur que les troupes de ligne.  Les habitants capables de porter les armes avaient tous reçu, en outre, des fusils fournis par les Anglais.  Cent soixante bouches à feu étaient en batterie.  Les généraux Saint-Marc, Versage, tous deux, Français émigrés, Amoros, O' Neil et Budley y servaient sous les ordres du capitaine général Palafox.  Tels étaient les moyens d'attaque et de défense de part et d'autre.  Ainsi donc une armée nombreuse, bien approvisionnée et exaltée par tout ce que l'amour de la patrie et le fanatisme religieux ont de plus ardent, fortement retranchée dans une enceinte qui paraissait inexpugnable, allait être attaquée et vaincue par une armée moitié moins forte, ayant à lutter contre toutes les privations, et la population entière de plusieurs provinces révoltées, mais animée de toute la valeur qu'enfante l'amour de la gloire , et conduite par d'habiles officiers. Une telle victoire n'appartenait peut-être qu'à une armée française. 

Comme il était indispensable d'occuper le Monte - Torero avant de commencer les travaux du siège, l'attaque en fut résolue et réglée par le général Lacoste.  Pendant la nuit on éleva une batterie qui, le 21 au matin, ouvrit son feu sur ce fort, que défendait le général Saint-Marc avec cinq mille hommes.  Pendant que la 2e brigade du général Grand- Jean faisait quelques démonstrations de front, la ire, guidée parle général Habert, attaqua l'ouvrage par la gorge, et détermina la fuite de l'ennemi, qui se retira dans la ville, laissant trois pièces de canon et une centaine de prisonniers en notre pouvoir.  Dans le même temps la division Morlot enlevait la tête de pont des grandes écluses du canal.  Le même jour, le général Gazan ayant tenté un coup de main sur le faubourg de la rive gauche, fit prisonniers ou passa par les armes cinq cents Suisses qui s'étaient renfermés dans quelques maisons, mais il échoua dans son entreprise, et perdit quatre cents hommes. 

Le général Dedon ayant établi un pont de bateaux sur le haut Èbre , pour la communication des différends quartiers de l'armée, le général Lacoste fit la reconnaissance de tous les ouvrages de l'ennemi, et disposa trois attaques principales sur la rive droite; celle de gauche sur le château de l'inquisition, le côté le plus fort de la place, dans le but seulement de resserrer l'ennemi et de l'y inquiéter ; celle du centre sur la tête de pont de la Huerba, et celle de droite sur le couvent de Saint-Joseph, qui fut jugé le point le plus faible. Ces trois attaques devaient se rattacher à celle du faubourg sur la rive gauche, que le général Lacoste ne perdait pas l'espoir de faire de nouveau entreprendre incessamment. 

Tout étant prêt pour la tranchée, le maréchal Moncey la fit ouvrir dans la nuit du 29 au 3o décembre.  Le 31, l'ennemi fit une sortie sur toute la ligne, mais fut partout repoussé.  Le 2 janvier il sort par le faubourg pour débloquer la route de Valence, mais le général Gazan le repousse.  Ce même jour, le maréchal Mortier ayant reçu l'ordre de se porter sur Calatayud avec la division Suchet, les troupes de siège se trouvèrent affaiblies de neuf mille hommes, et les travaux se ralentirent. Le général Moncey étant tombé malade, le général Junot, aide-de-camp de l'empereur Napoléon, vint prendre le commandement supérieur du siège.  Le général Lacoste fit construire des redoutes de contrevallation pour suppléer au nombre des retranchements.  Le 9 au soir, malgré le feu violent de l'assiégé et ses continuelles tentatives pour déloger nos travailleurs, quatre batteries battant la tête de pont, et quatre battant le fort Saint-Joseph, furent terminées le 10 au matin.  Elles ouvrirent leur feu, et le soir l'artillerie de ces deux ouvrages était à peu près réduite au silence.  Pendant la nuit, l'ennemi fit une sortie pour détruire nos batteries, mais sans succès.  Le 11, notre feu redoubla, et la brèche à Saint-Joseph étant praticable, l'assaut fut ordonné pour quatre heures du soir.  Pendant que le chef de bataillon du génie Haxo (en 1820, lieutenant-général), à la tête d'une colonne, attaquait près de l'embouchure de la Huerba, le chef de bataillon Stahl, du 14e de ligne, avec quelques compagnies de voltigeurs, gravissait la contrescarpe à l'aide d'échelles, et parvenait à la brèche.  Dans le même temps, le capitaine du génie Daguenet, commandant une troisième colonne, tournait le fort par la gorge, et y pénétrait.  Une partie de la garnison fut passée par les armes, l'autre parvint à gagner le corps de la place. Cette affaire brillante ne nous coûta qu'une perte légère.  Le lieutenant Victor de Buffon, petit-fils du grand homme de ce nom, se distingua particulièrement dans cette occasion, et entra le premier par la brèche. 

Le 15, la tête de pont de la Huerba fut emportée et nos troupes s'y établirent.  Les travaux cheminèrent alors avec plus de succès et de rapidité, et l'on construisit des batteries formidables pour battre en brèche le mur d'enceinte aux attaques de droite et du centre. 

Quels que fussent cependant les progrès des assiégeants, leur situation était des plus critiques.  Tout l'Aragon était en armes, et des bandes nombreuses d'insurgés venaient de tous les points circonscrire et affamer nos camps, inquiéter nos dépôts, nos établissements, nos hôpitaux, et intercepter nos communications.  La destruction des corps rassemblés à Alcañiz par le général Vathier (26 janvier) n'avait point arrêté le soulèvement général que provoquaient le marquis de Lazan et François Palafox, frères du capitaine-général, sortis à cet effet de Saragosse.  Vingt mille hommes réunis sous leurs ordres s'avançaient par la rive gauche de l'Èbre pour secourir la place; déjà ils enveloppaient la division Gazan, postée sur cette rive, et l'assiégeaient, pour ainsi dire, dans son camp.  Les feux de leurs bivouacs, qui couronnaient toutes les hauteurs environnantes, aperçus par les assiégés, redoublaient leur énergie par la persuasion où ils étaient de leur prochaine délivrance. 

Mais le plus terrible ennemi de l'armée obsidionale était la famine.  Nos soldats manquant de viande avaient été plusieurs fois réduits à la demi-ration de pain; les villages n'obéissaient point aux réquisitions, et on ne parvenait à faire entrer quelques provisions au camp que l'épée à la main; encore ne pouvait- on envoyer de lointains ni de forts détachements pour cet objet, dans la crainte que les assiégés, secondés par l'armée de secours., ne profitassent de ce moment pour tomber sur les assiégeants, qui, réduits à vingt-deux mille hommes depuis le départ de la division Suchet, pouvaient à peine se maintenir dans leurs ouvrages. Dans un tel état de choses, il fallait se décider à lever le siège ou à détruire les obstacles qui entravaient ses progrès. 

Le 22 janvier, le maréchal Lannes prit le commandement des troupes de siège.  Il fit quitter Calatayud au maréchal Mortier, qui passant aussitôt sur la rive gauche, marcha contre les troupes des deux frères Palafox, leur fit un millier de prisonniers et les chassa au loin.  Pendant le reste du siège, une partie de la division Suchet continua à tenir la campagne et dissipa tous les partis ennemis, qui, sur la rive gauche, tentèrent d'inquiéter l'armée de siège ou d'enlever ses convois.  Les travaux devant Saragosse reprirent alors une nouvelle vigueur. 

Le 26, toutes les batteries contre la ville étant terminées, cinquante pièces d'artillerie ouvrirent, dès le matin, un feu terrible contre les deux attaques du centre et de droite, et firent taire une partie de l'artillerie de la place.  Le 27, deux brèches furent praticables au mur d'enceinte, en face de Saint-Joseph; au centre le couvent de Santa-Engracia fut aussi ouvert et bouleversé par notre feu.  L'assaut fut ordonné par les trois brèches à-la-fois et toute l'armée prit les armes.  A midi, nos diverses colonnes s'élancent hors de la parallèle.  A la brèche de droite, près Saint-Joseph, l'ennemi fait jouer deux fourneaux, dont l'explosion n'arrête point nos troupes; elles arrivent sur le sommet de la brèche; mais là elles trouvent un retranchement intérieur inattendu qu'elles ne peuvent franchir:  non sans peine, elles couronnent seulement la brèche et s'y logent sous une grêle de grenades, de mitraille et de balles.  A la brèche de gauche, nous éprouvâmes moins d'obstacles :  la colonne qui l'attaquait parvient à son sommet, s'empare d'une maison en face ouverte par notre artillerie; de là elle s'étend dans les maisons à droite et à gauche, où elle pénètre en sapant les murs extérieurs et enfonçant les portes murées à l'intérieur. 

A l'attaque du centre, sur Santa-Engracia, la fortune nous favorisa davantage. Quatre compagnie d'élite du 1er régiment de la Vistule (Polonais) et soixante sapeurs parcourent rapidement un espace de cent vingt toises, entre la Huerba et un mur d'enclos, sous le feu très-vif d'une partie de l'enceinte de la ville qui découvrait ce long trajet; elles parviennent à la brèche, s'y élancent et s'introduisent dans le couvent; elles sont immédiatement suivies par tout le régiment, son valeureux colonel Chłopicki à la tête.  On s'y loge, l'ennemi en est chassé et nos troupes s'emparent encore du couvent del Cazas, qui est attenant, malgré l'explosion de six fougasses que l'assiégé fit jouer.  Dans le même temps, une autre colonne, sortie de.la parallèle du centre, s'étendait à gauche, arrivait jusqu'au couvent des Capucins, dont elle prenait possession; mais les Espagnols s'étant aperçus que cette troupe n'était point soutenue, revinrent à la charge, repoussèrent nos gens, auxquels ils firent essuyer une perte considérable, et ils allaient réoccuper le couvent des Capucins, lorsque le général Morlot y envoya deux bataillons de sa division, qui le conservèrent. 

Les résultats de cette journée furent la prise de quinze bouches à feu et un double établissement en ville.  La perte des Espagnols fut de huit cents hommes, et nous en eûmes six cents hors de combat.  Les capitaines du génie Reggio et Second y furent tués.  Parmi les officiers blessés, on cita pour leur brillante conduite le chef de bataillon du génie Haxo, le chef de bataillon Lejeune (1), aide-de-camp du prince de Neuchâtel, (en 1820, maréchal-de-camp. Depuis longtemps distingué parmi les peintres dont la France s'honore, ses habiles pinceaux, spécialement consacrés à la gloire de la patrie, ont le privilège d'attirer constamment la foule depuis le premier jusqu'au dernier jour de l'ouverture du Muséum.) le capitaine Guettman du 44e  et le lieutenant Robieski du 1er de la Vistule, qui le premier monta à la brèche. 

Maîtres de l'enceinte de la ville et de plusieurs bâtiments qui l'avoisinent, les Français s'y fortifièrent; ils crénelèrent les maisons qu'ils occupaient, s'y barricadèrent; établirent des communications à couverts des grenades et du feu de l'ennemi; percèrent les cloisons de maisons en maisons.  Sentant toutefois qu'une attaque de vive force contre un ennemi qui paraissait vouloir défendre jusqu'à la mort sa dernière maison, son dernier créneau, serait une témérité trop favorable à l'assiégé, les officiers du génie résolurent de cheminer à couvert, autant que possible, pour attaquer un ennemi à couvert; d'aller lentement, mais à coup sûr, pour ne point rebuter les troupes par des pertes trop fortes et trop fréquentes. La guerre souterraine commença donc. 

Loin de s'affaiblir par l'imminence du danger, l'énergie des assiégés était à son comble.  Voyant leur enceinte forcée et l'ennemi dans leur ville, les habitants, dont alors la guerre commençait réellement, garnirent en foule les créneaux de toutes les maisons attaquées.  Des fenêtres, des toits, des retranchements, ils faisaient pleuvoir sur les assaillants un déluge de balles et de grenades qui les incommodaient fort, et souvent les contraignaient à des mouvements rétrogrades.  De tous cotés le tocsin résonnait, appelant tout le monde aux armes.  Les moines, dont cette ville pullulait, un sabre au côté, parcouraient les rues, animant les uns au combat, forçant les autres au travail des batteries et des fortifications.  Les femmes même ne s'exemptèrent point de prendre les armes.  Palafox, par une proclamation, les avait engagées à imiter la vaillance des anciennes amazones.  On voyait des femmes de la plus haute condition, comme celles que de rudes travaux journaliers accoutument à la fatigue, charger leurs faibles bras d'un pesant fusil, et au milieu des balles et des bombes animer les combattants par leur intrépidité. Plusieurs de ces guerrières obtinrent par leur bravoure des décorations militaires. 

Cependant l'intérieur de la ville était dans un état déplorable.  Depuis la prise de Saint- Joseph et de la tète de pont, nos mortiers avaient lancé sur les différends quartiers une grêle d'obus et de bombes.  Les femmes, les enfants et ceux des hommes qui n'étaient point employés à la défense, pour se soustraire à ces terribles projectiles, s'exposaient chaque jour à un danger plus certain.  Ils se réfugiaient, s'entassaient dans les caves; mais ces souterrains, où le jour ne parvenait pas, où l'air ne circulait qu'avec peine, étaient plus meurtriers que les coups qui se portaient au-dehors.  L'humidité, l'air vicié par la continuelle combustion de l'huile et du bois, les aliments insalubres, le défaut d'exercice, les émotions violentes, provoquèrent une fièvre maligne, qui bientôt devenue épidémique, moissonna avec une rapidité effrayante les habitants et la garnison.  Au 1er février, quatre cents individus mouraient chaque jour, sans compter ceux tués par le feu des assiégeants, et ce nombre alla toujours croissant jusqu'à la fin du siège.  La terre manquait pour ensevelir tant de cadavres ; on creusait de grandes fosses dans les rues, dans les cours.  Souvent aussi, faute de temps, on était contraint d'entasser devant les églises des monceaux de morts, couverts seulement par des draps; quelquefois des bombes tombaient sur ces amas de putréfaction, en dispersaient au loin les horribles lambeaux, et ajoutaient ainsi aux influences délétères d'un air déjà empoisonné.  Les mines, ou les bombes des assiégeants, renversaient toutes les défenses, atteignaient toutes les maisons de la ville; la peste la plus affreuse avait son foyer dans les seuls asiles qui fussent à l'abri des ravages de la guerre, et cependant ni la garnison ni les habitants ne furent point ébranlés; toutes les offres de capitulation furent rejetées, et les intrépides Aragonais donnèrent un grand exemple de ce que peuvent les défenseurs d'une - ville qui ont fermement résolu de périr plutôt que de se rendre.

Cette énergique résolution était soutenue chaque jour par les exhortations et les promesses des prêtres, par les proclamations mensongères, mais stimulantes, du capitaine général, ou plutôt de son conseil.  Comme nous l'avons dit plus haut, Palafox, élevé à la première dignité de la province parle peuple, n'avait pu se dégager des entraves que celui-ci lui imposait.  Il conservait, il est vrai, tous les honneurs du commandement; de grandes démonstrations de déférence et de respect lui étaient prodiguées en public; mais soumis despotiquement à trois moines et à trois hommes sortis des rangs du peuple, qui avaient la plus grande influence sur la populace, il n'agissait que pour eux et par eux.  L'un de ses tuteurs, qu'on appelait le tio Jorge (En espagnol, tio veut dire oncle. C'est un nom que l'on donne familièrement à toutes les personnes d'un âge Avancé qui sont dans le rang intermédiaire de la populace à ce qu'on appelle les gens comme il faut.)  ne quittait jamais le palais du gouvernement, afin de s'assurer qu'aucun ordre du gouverneur n'était contraire aux dispositions voulues par le démocratique conseil. Palafox était également surveillé lorsqu'il parcourait la ville; car le peuple le soupçonnait de vouloir encore la quitter, comme il l'avait fait lors du premier siège.  Aussi l'influence personnelle du capitaine-général sur les opérations du siège fut-elle nulle. L'héroïque résistance de Saragosse est due entièrement au dévouement individuel de ses défenseurs, excité par l'opiniâtreté des meneurs du peuple, quine pouvaient conserver leur autorité qu'à la faveur de l'anarchie.

Nous avons sous les yeux une relation du siège de Saragosse, par l'un de ses défenseurs, qui paraît être officier de mérite. Elle est écrite avec une modération qui fait honneur au caractère de l'auteur :  la conduite du capitaine général y est presque partout excusée; mais ces excuses mêmes décèlent plus la vérité qu'elles ne la cachent. Il est d'ailleurs des faits que l'auteur n'a pu passer sous silence, et qui éclairent d'un jour aussi vif que défavorable le caractère de Palafox. Croirait-on, par exemple, que ce gouverneur, du moment où les Français eurent forcé l'enceinte de Saragosse, abandonnant ses troupes à leur propre courage et à l'habileté des officiers qui les dirigeaient, s'ensevelit dans une cave, dont il ne sortit pas d'un mois, et qu'il ne quitta qu'après la capitulation. Ce fut là que quelques jours auparavant il fut atteint de l'épidémie générale. Combien de réputations colossales qui, semblables à celle du général Palafox, disparaissent à l'examen et doivent être rangées parmi les réputations usurpées!

Ainsi que nous l'avons dit plus haut, lorsque les Français furent maîtres des premières maisons et des deux couvains près de l'enceinte, ils s'y retranchèrent avant de pousser plus loin. Les 28 et 29 janvier, ils s'emparèrent de quelques maisons, mais avec une peine extrême.  Deux jours on en disputa une vers Santa-Engracia :  on se battit dans la cour, dans les salles-basses; le combat monta ensuite au premier étage, de là au galetas, redescendit dans les caves; et nos gens voyant qu'il leur était impossible de s'y établir solidement tant qu'elle resterait debout, prirent le parti de la faire sauter et de se loger dans ses ruines.

L'assiégé mit un égal acharnement à défendre une maison isolée, la seule qui manquait à l'assiégeant pour arriver à la rue de Puerta-Quemada. Le 29, au soir, nos troupes pénétrèrent dans la cuisine à la faveur d'un pétard. Les Espagnols ouvrirent alors des créneaux dans le mur de la salle à manger et fusillèrent. Ils jetèrent des obus par la cheminée; la fusillade gagna successivement d'un étage à l'autre; les deux partis se précipitèrent à l'envi dans la cave pour y mettre de la poudre, et là se livrèrent un nouveau combat pour chacun empêcher son ennemi d'y établir un fourneau, Après deux jours de combat, la maison resta aux Espagnols, et ce fut ainsi que furent défendues toutes les maisons attaquées.

Le 29 au soir, l'ennemi attaqua deux fois, mais sans succès, le couvent des Capucins, où nous étions établis. Le général Rostolant fut blessé dans cette attaque, et le capitaine du génie Barthélemy tué. Le 3i, ils battirent ce couvent en brèche et pénétrèrent dans l'église ayant à leur tête un religieux qui les animait un crucifix d'une main, un sabre de l'autre. Cette nouvelle tentative fut aussi infructueuse, et l'ennemi se retira laissant devant l'église un monceau de morts.

Le 1er février, les assiégeants se logèrent dans le couvent de Sainte-Monique, et de quelques maisons vers Santa-Engracia; mais ce succès fut acheté bien cher par la mort du général Lacoste, commandant le génie de l'armée de siège.  Cet officier, du plus grand mérite, atteint d'une balle, mourut sur-le-champ. Le colonel Rogniat (en 1820, lieutenant-général) le remplaça dans son commandement.

L'expérience ayant appris aux assiégeants que les maisons renversées par les mines étaient souvent un obstacle à leurs progrès, puisqu'alors elles n'offraient plus aucun couvert pour parvenir à l'attaque des maisons voisines; les officiers du génie calculèrent la charge des fourneaux de manière à faire brèche sans renverser les maisons. Nos attaques devinrent alors moins périlleuses.

Les jours suivants, nos mineurs s'avancèrent sous le couvent des filles de Jérusalem. S'étant aperçus que l'ennemi contre-minait pour détruire nos galeries, ils se hâtèrent de charger un fourneau pour le prévenir, et l'explosion engloutit les mineurs espagnols. Le colonel Rogniat fut légèrement blessé. Le 6, nous parvînmes enfin jusqu'au Cosso, et nous logeâmes dans une maison. Dans le même temps, nos mineurs, par trois galeries établies sous la rue Engracia, parvinrent sous l'immense couvent de Saint-François, et par deux autres arrivèrent sous l'hôpital-général. Nos fourneaux furent chargés de quinze cents livres de poudre, et l'explosion nous ouvrit ce dernier bâtiment; la brèche de Saint-François ne fut point praticable.

Le 7 février, le général Gazan, sur la rive gauche, enleva le couvent de Jésus, et le colonel du génie Dode (en 1820, lieutenant-général), qui avait ouvert la tranchée contre le faubourg, continua ses approches.

Les 8, 9 et 10, nous nous emparâmes de plusieurs îles de maisons vers le Cosso; nous cheminions, selon les circonstances, à l'aide de la sape, des pétards ou de la mine. L'ennemi employait avec beaucoup de succès l'incendie pour retarder nos progrès.

Cependant nos mineurs avaient conduit une galerie de l'hôpital sous le couvent de Saint- François, poste important pour pouvoir déboucher sur le Cosso. Le major Breuille, qui les dirigeait, s'étant aperçu que les mineurs ennemis venaient à sa rencontre pour éventer notre mine, fit charger un fourneau de trois milliers de poudre; on y mit le feu après avoir attiré beaucoup d'Espagnols dans la sphère d'activité du fourneau par des démonstrations d'attaques sur la surface du sol. L'explosion fut terrible et enleva une partie du bâtiment. Les sapeurs, dirigés par le chef de bataillon Valazé (en 1820, maréchal-de-camp) et le 115e régiment conduit par le colonel Dupéroux, débouchent aussitôt de l'hôpital, s'élancent dans le couvent de Saint- François et en chassent l'ennemi malgré sa vive résistance.  Pendant la nuit suivante, il chercha à nous arracher cette conquête, mais son attaque n'eut aucun succès.

Jusqu'au 17, on continua de cheminer en s'étendant le long du Cosso pour lier cette attaque à celle de la rive gauche; on s'empara aussi de quelques maisons.

Cependant, quels que fussent le courage et le dévouement de nos troupes, elles commençaient à se rebuter de tant d'obstacles, sans cesse renaissants. Elles étaient harassées, et tous ces combats meurtriers, sans progrès bien sensibles, jetaient du découragement dans l'armée obsidionale. « A-t-on jamais vu, disait-on dans les camps, vingt mille hommes en assiéger cinquante mille ; ces maudites ruines deviendront nos tombeaux avant d'avoir pu forcer les derniers de ces enragés dans leur dernière retraite. » Le maréchal Lannes ne négligea rien pour réchauffer le zèle des troupes, et elles continuèrent à faire leur devoir.

Nos mineurs firent brèche à une île de maisons qui s'étend de la rue de l'Arcade aux Augustins. Une tour sans issue nous empêcha de pénétrer sur la gauche de l'île. Un nouveau pétard ouvrit un passage, et les Espagnols furent chassés par des bombes que l'on roula dans les appartements qu'ils occupaient. L'explosion d'une de ces bombes ayant fait écrouler toutes les voûtes jusqu'à la cave, des Polonais s'y firent descendre avec des cordes pour parvenir jusqu'à l'ennemi.

Le 18, nous établîmes une batterie qui enfilait le Cosso, et deux fourneaux ayant fait deux brèches à l'Université, nous nous emparâmes de ce vaste bâtiment. Ce même jour, le général Gazan attaqua le faubourg de la rive gauche et s'en rendit maître. Le baron de Yersage y fut tué et trois mille Espagnols mirent bas les armes.

Le 19, nous nous logeâmes dans le couvent de la Trinité; un fourneau de seize cents livres de poudre fit écrouler une île de maisons.  Le soir, les assiégés envoyèrent enfin un parlementaire; mais ses propositions étant inacceptables, il fut renvoyé.

Quelles qu'eussent été les fatigues et les souffrances des assiégeants, la situation des assiégés était bien plus déplorable. En proie à toutes les horreurs de la peste, dont les ravages étaient effroyables, le fléau de la guerre devenait pour eux chaque jour plus terrible. La garnison ne suffisait plus à la défense, et la dispersion des troupes sous les ordres des frères Palafox ravissait à Saragosse tout espoir d'être secourue.

Depuis la prise du faubourg, les Français avaient tellement resserré leur feu, que leurs projectiles se croisant dans tous les sens portaient la destruction dans tous les quartiers. Ils étaient maîtres du tiers de la ville, et leur supériorité dans la guerre souterraine leur assurait la prompte occupation du reste. Une perte certaine n'avait pourtant intimidé qu'une portion des Saragossans. Le peuple surtout conservait encore toute sa première énergie; mais la majeure partie de la garnison pensait avec raison qu'elle avait assez fait pour son honneur et l'intérêt de la patrie, et qu'une capitulation était indispensable. Le général Palafox et ses conseils partageaient cette opinion. Ce gouverneur, qui venait d'être atteint de l'épidémie dans son caveau, qu'il n'avait pas quitté depuis un mois, envoya donc le 19 février au soir un de ses aides-de-camp au maréchal Lannes lui proposer de laisser sortir la garnison avec armes et bagages, libre de rentrer dans les rangs de l'armée espagnole. Mais le maréchal exigea que la place se rendît à discrétion. A cette nouvelle, le peuple se mutina, décidé à prolonger la défense. Palafox, pour se soustraire à la responsabilité qu'il sentait qu'allait encourir le signataire d'une capitulation inévitable et prochaine, se démit du commandement; sa maladie lui servit de prétexte, et il désigna pour son successeur le général Saint-Marc. Celui-ci, que sa qualité de Français rendait déjà suspect au peuple, refusa l'autorité qu'on lui offrait et consentit seulement à présider une junte formée des principaux chefs militaires, civils et ecclésiastiques, qui fut créée sur-le-champ.

Le 20 février l'attaque continua, et la résistance fut aussi opiniâtre. Cinquante pièces d'artillerie qui avaient servi à la prise du faubourg furent mises en batterie sur la rive gauche contre les maisons du quai de la ville, qu'elles battirent en ruines avec vivacité. La brèche étant praticable, nos troupes y pénétrèrent, et après un rude combat se rendirent maîtresses d'une île entière.

Six galeries de mines qui traversaient le Cosso atteignaient déjà la ligne des maisons en face qu'occupaient encore les Espagnols; on commençait à charger les fourneaux chacun de trois mille livres de poudre; leur explosion énorme avait été calculée afin d'ouvrir une immense brèche qui devait donner un passage suffisant pour pénétrer de tous côtés au-delà du Cosso; l'ordre était donné de les faire jouer simultanément le lendemain matin, lorsqu'à quatre heures du soir une députation de la junte vint traiter de la reddition de la place:  le feu cessa aussitôt de part et d'autre.

L'auteur espagnol que nous avons déjà cité assure que malgré les premières prétentions du maréchal Lannes, qui voulait que la garnison se rendît à discrétion, les députés, par leur fermeté, obtinrent que les officiers conserveraient leur épée et leurs bagages, les soldats leur havresac, et que la garnison, prisonnière, sortirait avec les honneurs de la guerre. M. le général Rogniat, dans son excellente relation du siège, dit positivement que la garnison se rendit à discrétion. Nous ne sommes pas à même de prononcer; cependant, par suite de considérations qu'il est hors de notre sujet de traiter, nous penchons pour cette dernière version, que le caractère et la position du général Rogniat rendent plus que probable. Quoi qu'il en soit, jamais vaincus - n'ont été plus dignes de la générosité des vainqueurs, et des compensations honorables que laisse après elle la défaite.

A sept heures du soir, les députés allaient rendre compte à leurs commettants, lorsque le peuple révolté les intimida par les éclats de sa fureur. Le parti qui voulait s'enterrer sous les dernières ruines avait formé le projet de s'emparer de l'artillerie encore disponible et des munitions, et de forcer les troupes à imiter sa résolution désespérée. Les députés, n'osant point rentrer dans la ville, firent seulement connaître à la junte le résultat de leur mission, qui fut approuvé. Pendant la nuit on parvint à calmer le peuple, qui finit par se soumettre à la nécessité (Palafox suivit le sort de la garnison, et fut conduit prisonnier en France.)

Le 21, à midi, la garnison réduite à quinze mille hommes, défila et déposa les armes. Les Français occupèrent le reste de la ville, après cinquante-deux jours de tranchée ouverte, dont vingt-neuf pour entrer dans la place, et vingt-trois de guerre de maison. Mais leur conquête n'était plus qu'un vaste cimetière où la mort frappait encore de nombreuses victimes que la guerre avait épargnées. Plus de mille habitants moururent encore après la capitulation. Cinquante-quatre mille personnes, dont plus de la moitié combattants, avaient péri pendant le siège, la plus grande partie par la contagion, dix mille seulement par le feu des assiégés. La perte des Français ne s'éleva pas au-delà de trois mille hommes. De vingt-sept officiers du génie qui furent atteints, onze moururent de leurs blessures.

Saragosse présentait le plus hideux spectacle. La moitié de la ville, bouleversée par les mines et les bombes, n'offrait à l'œil que d'effroyables ruines parsemées de cadavres et de membres mutilés; les maisons même restées debout, sillonnées par une multitude de projectiles, n'étaient plus habitables. Six mille morts gisaient encore, privés de sépulture entassés devant les églises, dans les fossés des traverses et dans les rues.  Jamais peut-être le démon de la guerre n'avait accumulé tant et de si épouvantables maux sur une surface si étroite. Triste condition des hommes, qu'il faille célébrer comme un heureux événement pour les vainqueurs une si horrible destruction !

20/02/1809 fin 2ème siège de Saragosse

 

- Éphémérides militaires depuis 1792 jusqu'en 1815, ou Anniversaires de la valeur française. par une société de militaires et de gens de lettres, 1820 Pillet aîné (Paris), (1818-1820).

Retour à la page d'accueil