CAMPAGNE DE 1805

15 octobre 1805 : reddition d'Ulm

Le 17 octobre 1805 (25 vendémiaire an XIV).
CAPITULATION DE L'ARMÉE AUTRICHIENNE CERNEE DANS ULM (1).

Résumé de la campagne
L'armée française, réunie depuis deux ans sur les côtes de la Manche aux camps de Boulogne et d'Ostende, paraissait prête à effectuer une invasion en Angleterre, lorsque l'Autriche, déclarant la guerre à la France, vint conjurer l'orage qui grondait sur la Grande-Bretagne. Cette puissance entrait en lice soutenue par les subsides de l'Angleterre et une armée russe; mais celle-ci, encore éloignée du théâtre de la guerre lorsque les hostilités commencèrent ,ne prit aucune part aux premières opérations de la campagne, et ce ne fut que quelques jours avant son entrée à Vienne que l'armée française se mesura sérieusement avec elle.  L'empereur Napoléon ayant appris que l'armée autrichienne, entrée en Bavière, avait chassé l'électeur de Munich et s'avançait sur le Rhin (2), ordonna à l'armée française la levée des camps et la dirigea tout entière vers l'Allemagne. Jamais marche d'une nombreuse armée ne fut ni, si rapide ni si brillante.

Le 25 août elle était sur les bords de l'Océan, le 26 septembre elle passait le Rhin à Mayence, Mannheim, Strasbourg, et marchait en Souabe à la rencontre de l'ennemi, sans que des marches aussi pénibles eussent altéré l'ardeur belliqueuse qui l'animait. L'Autriche avait dirigé son attaque sur deux points principaux. Une armée, sous les ordres de l'archiduc Charles, se porta vers l'Italie, et une seconde, que commandait l'archiduc Ferdinand ,ayant sous lui le général Mack, envahissant la Bavière, marcha sur le Haut -Rhin, s'appuyant par le Tyrol à l'armée du prince Charles. Cette armée de Bavière s'avançant par la rive droite du Danube, et ayant sa droite à ce fleuve, sa gauche au lac de Constance, occupait tous les débouchés de la forêt Noire. Le général ennemi pensait, et avec raison, que si les Français venaient l'attaquer de front sur ce terrain difficile, coupé dans tous les sens par de nombreuses rivières, d'âpres montagnes, d'épaisses forêts et de défilés multipliés, il pourrait facilement se maintenir et attendre dans cette forte position l'arrivée de l'armée russe. La possession de cette position avait paru d'une telle importance au cabinet de Vienne, qu'il s'était hâté de la faire occuper ayant la jonction de ses alliés, dans la crainte que les Français ne s'en rendissent maîtres. Aussi le général Mack, satisfait d'avoir réussi dans cette première opération de la campagne, et arrêtant son mouvement offensif, ne songea plus qu'à la défensive. Comme les gens à courte vue, il pensait qu'ayant déjà heureusement exécuté une partie de ses projets, tout allait concourir à leur entière exécution; que son plan de campagne étant le meilleur possible, les Français ne pouvait attaquer que sur le point prévu, et que dès lors les chances de la guerre seraient toutes en sa faveur. Aveuglement de l'amour propre, qu'il allait payer bien cher !

Deux armées françaises furent opposées aux armées ennemies: celle d'Italie, aux ordres du maréchal Masséna, ayant sous lui le prince Eugène, vice-roi de ce royaume, s'opposa à la marche de l'archiduc Charles; l'empereur Napoléon, à la tête de l'armée campée sur les côtes, et des troupes françaises qui, sous les ordres du maréchal Bernadotte, occupaient le Hanovre, accourut en Allemagne. La position de l'armée ennemie sur la rive droite du Danube laissait à la disposition des Français tous les pays à la gauche de ce fleuve. Libre de ses mouvements, Napoléon en profita habilement. La cavalerie française, sous les ordres du prince Murât, ayant passé le Rhin à Strasbourg, s'avança jusqu'aux débouchés de la forêt Noire, et pendant trois ou quatre jours inquiétant par de fortes patrouilles les avant-postes autrichiens, attira sur ce point toute l'attention de l'ennemi, d'autant plus disposé à croire à une véritable attaque, que déjà deux fois pendant les guerres de la révolution les Français avaient par là pénétré en Allemagne. Pendant ce tems, le reste de l'armée française, filant tout entière sur le flanc droit de l'armée autrichienne, la débordait et s'avançait à marche forcée au cœur de la Bavière sur la rive gauche et parallèlement au Danube.

Elle avait passé le Rhin le 26 septembre; le 6 octobre elle arrivait sur le Danube, passait ce fleuve à Donauwoerth, et se trouvait à plusieurs marches derrière l'armée autrichienne, dont elle coupait les communications avec Munich et l'Autriche, ne lui laissant que la route du Tyrol pour retraite. Pivotant alors sur le centre, l'aile gauche de l'armée française marcha vers cette route, et par la prise de Memmingen (13 octobre) ôta tout espoir de salut à l'ennemi. Ce mouvement exécuté en si peu de tems quoique sur une échelle si large, cette hardie et savante manœuvre, avaient déconcerté tous les calculs du général autrichien. Dès qu'il eut connaissance de la marche des Français sur son flanc droit, il quitta sa position, désormais inutile, et dirigea en toute hâte les corps les plus rapprochés du point menacé vers Ulm, sur le Danube. Les autres corps suivirent ce mouvement à plus ou moins de distance, selon leur éloignement respectif. La place d'Ulm, où dès l'ouverture de la campagne le général ennemi avait fait élever des fortifications pour assurer son aile droite, par suite des manœuvres des Français, allait donc servir d'appui à l'aile gauche autrichienne. Mais ce changement de front en arrière, si subitement nécessité, cette nouvelle base d'opérations à établir sous le canon ennemi, présentaient trop de difficulté par la nature des choses mêmes, par celle du terrain, par la lenteur allemande, pour que le général Mack pût se tirer d'un si mauvais pas sans éprouver un grand échec. Il ne lui restait qu'un parti à prendre, celui de réunir son armée et de s'ouvrir un passage en tombant sur un des corps de l'armée française. Au lieu de cela, il porta à la rencontre des Français, qui le prenaient à dos, les premières troupes qu'il trouva sous sa main, et les fit battre ainsi en détail, tandis qu'avec les corps les plus éloignés, et qui d'abord formaient son avant-garde, il vint occuper les positions d'Ulm. Devant cette place viennent se réunir plusieurs routes qui vont en Tyrol, en Autriche et en Bohême; le général autrichien avait conçu le projet de faire échapper ses divisions par chacune de ces différentes routes, espérant pouvoir les réunir plus tard sur un autre terrain; mais il ne s'aperçut pas qu'il était déjà trop tard, et que son ennemi, maître des deux rives du Danube, maîtrisait les événements et ayant déjà pris ou dispersé la moitié de l'armée autrichienne, allait couper toutes les communications à l'autre moitié.

Nous avons vu, aux combats d'Haslach, de Wertingen, de Guntzbourg, d'Albeck, de Leudsberg, de Memmingen, d'Elchingen et de Languenau (8, 10, 11 , 13, 14 et 15 octobre), comment les premiers corps autrichiens, se présentant morcelés, et dans tous les sens, avaient été détruits. Napoléon, en passant le Danube, avait supposé que l'armée ennemie, menacée d'être tournée, s'était hâtée de se retirer derrière le Lech pour gagner l'Inn, et que les corps qu'il avait atteints en étaient seulement l'arrière-garde; il se dirigeait en conséquence vers Munich, après s'être emparé d'Augsbourg, et était aux portes de cette capitale de la Bavière lorsque le combat d'Albeck (11 octobre) vint lui apprendre la faute du général Mack, resté à Ulm. Sans perdre de temps, le général français laisse sa cavalerie, un corps d'armée à la poursuite de l'archiduc Ferdinand, qui, quoique battu en diverses rencontres, était parvenu à se faire jour et fuyait vers la Bohême; avec le reste de l'armée il rétrograde sur Ulm, et par les deux rives du Danube il coupe toute communication à l'ennemi, qu'il parvient à renfermer et à resserrer jusque derrière les remparts de cette place. Depuis quelques jours le tems était horrible, une pluie abondante et continue avait rendu les chemins presque impraticables: on était dans la boue jusqu'aux genoux, et le Danube débordé empêchait l'arrivée des subsistances. Malgré cependant des courses aussi rapides, des fatigues et des privations de toute espèce, nos soldats, pleins d'une bouillante ardeur, demandaient le combat à grands cris. Ils s'indignaient que l'armée autrichienne n'eût point encore posé les armes, et l'assaut était la récompense qu'ils sollicitaient pour leur glorieux et pénibles travaux. Napoléon, ne le jugeant point nécessaire, après le combat d'Elchingen (14 octobre), fit proposer une capitulation au général Mack. Le prince de Lichtenstein, envoyé près de lui pour traiter, demanda que l'armée autrichienne fût renvoyée en Autriche, mais cette demande ne fut accordée qu'aux officiers, sous condition qu'ils ne serviraient point durant le cours de la présente guerre.

La capitulation fut acceptée et signée par le général Mack le 17 octobre. Elle portait que la place d'Ulm, avec tous ses magasins et son artillerie, serait remise aux troupes françaises le 25 octobre, si avant cette époque elle n'était point secourue; que l'armée autrichienne déposerait les armes sur les glacis et serait prisonnière à l'exception des officiers, qui retourneraient en Autriche. Deux jours après, le maréchal Berthier, autorisé par l'empereur Napoléon, ayant donné au général Mack sa parole d'honneur que la Bavière était déjà entièrement évacuée par le reste de l'armée autrichienne; que le maréchal Bernadotte était posté entre l'Inn et Munich; que le maréchal Lannes était à la poursuite de l'archiduc Ferdinand ; que le prince Murat, s'étant porté sur Nordlingen, avait fait capituler le corps du général Werneck, le 19; qu'enfin le maréchal Soult occupait les débouchés du Tyrol, et que par conséquent il ne pouvait être secouru; une seconde capitulation fut conclue, par laquelle la place d'Ulm devait être remise le 20 au lieu du 25. Le lendemain, l'armée ennemie défila et mit bas les armes. C'était un beau spectacle pour les troupes françaises, que celui de trente-trois mille hommes, ayant dix-huit généraux à leur tête, qui, le front courbé, venaient s'humilier et déposer cinquante drapeaux et des armes devenues inutiles dans leurs mains. L'empereur Napoléon ayant reçu les épées des généraux, les traita avec bonté et s'entretint avec eux pendant que leurs troupes défilaient. « Messieurs, leur dit-il, votre maître me fait une guerre injuste; je vous le dis franchement, je ne sais pourquoi je me bats. Je lui donne un conseil, c'est qu'il se hâte de faire la paix. C'est le moment de se rappeler que tous les empires ont un terme; l'idée que la fin de la dynastie de la maison de Lorraine serait arrivée doit l'effrayer. Je ne veux rien sur le continent. Ce sont des vaisseaux, des colonies, du commerce que je veux, et cela vous est avantageux comme à nous.» Le général Mack ayant répondu que l'empereur d'Allemagne ne voulait pas la guerre, mais qu'il y avait été contraint par la Russie. Napoléon répliqua vivement: « Il y a été contraint! En ce cas, vous n'êtes donc plus une puissance ? » Outre les trente-trois mille hommes qui venaient de défiler, on trouva encore dans Ulm trois mille blessés qui furent également prisonniers; de sorte qu'en y comprenant les pertes de l'armée ennemie dans les divers combats livrés depuis le commencement de la campagne, soixante mille hommes, quatre-vingts drapeaux, l'artillerie et les bagages attachés à ces troupes, étaient tombés au pouvoir des Français, qui n'avaient pas perdu au-delà de deux à trois mille hommes. Un succès aussi prodigieux, obtenu presque sans coup férir, était le résultat de manœuvres aussi rapides qu'habilement exécutées. Le 26 septembre l'armée française passait le Rhin; le 6 octobre le Danube et le Lech (à plus de quatre-vingts lieues du Rhin). Pendant qu'une partie rétrogradait pour cerner le général Mack, l'autre poursuivait l'archiduc Ferdinand, entrait dans Munich le 12, et le 15 poussait ses avant-postes jusque sur l'Inn. Elle avait donc, dans le court espace de vingt jours, délivré la Bavière, pris la moitié de l'armée autrichienne, dispersé l'autre moitié, et parcouru une distance de plus de cent trente lieues. Quelle est l'armée européenne, quelle est l'armée dans le monde entier qui pourra trouver dans ses fastes un tel exemple de marches et de triomphes si extraordinaires ? Le lendemain du jour où l'armée autrichienne se fut rendue prisonnière, l'empereur Napoléon adressa une proclamation à son armée. Il lui annonçait ses glorieux succès, lui faisait ses remerciements, et la préparait à recommencer une nouvelle campagne contre les Russes, qui s'avançaient sur l'Inn et ralliaient à eux les corps autrichiens fuyant de la Bavière. Voulant lui donner une récompense, il ordonna que toutes les contributions frappées sur les possessions de l'Autriche en Souabe le seraient spécialement au profit de l'armée, ainsi que la vente de tous les magasins pris à l'ennemi ; que le mois de vendémiaire, dans lequel venaient de se passer de si grands événements, compterait pour une campagne, et y serait, comme tel, évalué dans les pensions pour les services militaires.

(Éphémérides militaires depuis 1792 jusqu'en 1815, ou Anniversaires de la valeur française. Octobre. par une société de militaires et de gens de lettres, 1820 Pillet aîné (Paris) 1818-1820)

(1) Ouvrages publiés. Rapports français et étrangers. Documens, manuscrits communiqués.

(2) On rapporte que Napoléon ,apprenant la déclaration de guerre de l'Autriche au moment où, sortant de table, il prenait du café, jeta avec violence sa tasse contre terre en s'écriant : "
J'écraserai l'Autriche comme cette tasse."

Luizhausen

Au Gasthaus Zum Löwen
Empereur se serait arrêté ici le 15 octobre 1805 lors des opérations d’encerclement de la ville d’Ulm.
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

16 octobre 1805

Elchingen, le 23 vendémiaire an XIV (16 octobre 1805): Cinquième bulletin (bis) de la Grande Armée.

Aux combats de Wertingen et de Günzbourg ont succédé des faits d'une aussi haute importance, les combats d'Albeck, d'Elchingen, les prises d'Ulm et de Memmingen.

Le général Soult arriva le 21 devant Memmingen, cerna sur-le-champ la place ; et après différens pourparlers, le commandant Capitula.

Neuf bataillons, dont deux de grenadiers, faits prisonniers, un général-major, trois colonels, plusieurs officiers supérieurs, dix pièces de canon, beaucoup de bagages et de munitions de toute espèce ont été le résultat de cette affaire. Tous les prisonniers ont été au même moment dirigés sur le quartier-général.
Au même instant le maréchal Soult s'est mis en marche pour Ochsenhausen, pour arriver sur Biberach et être en mesure de couper la seule retraite qui restait à l'archiduc Ferdinand.

D'un autre côté, l'ennemi fit le 19 une sortie du côté d'Ulm, et attaqua la division Dupont, qui occupait la position d'Albeck. Le combat fut des plus opiniâtres. Cernés par vingt-cinq mille hommes, ces six mille braves firent face à tout et firent quinze cents prisonniers. Ces corps ne devaient s'étonner de rien : c'étaient les neuvième léger, trente-deuxième, soixante-neuvième et soixante-seizième de ligne.
Le 21, l'empereur se porta de sa personne au camp devant Ulm, et ordonna l'investissement de l'armée ennemie. La première opération a été de s'emparer du pont et de la position d'Elchingen.

Le 22, à la pointe du jour, le maréchal Ney passa ce pont, à la tête de la division Loison. L'ennemi lui disputait la position d'Elchingen avec seize mille hommes ; il fut culbuté partout, perdit trois mille hommes faits prisonniers, un général-major, et fut poursuivi jusque dans ses retranchemens.
Le maréchal Lannes occupa les petites hauteurs qui dominent la place au-dessus de Pfoël. Les tirailleurs enlevèrent la tête du pont d'Ulm ; le désordre fut extrême dans toute la place. Dans ce moment, le prince Murat faisait manoeuvrer les divisions Klein et Beaumont, qui partout mettaient en déroute la cavalerie ennemie.
Le 22, le général Marmont occupait les ponts de Unterkirchen, d'Oberkirch, à l'embouchure de l'Iller dans le Danube, et toutes les communications de l'ennemi sur l'Iller.
Le 23, à la pointe du jour, l'empereur se porta lui-même devant Ulm. Le corps du prince Murat et ceux des maréchaux Lannes et Ney se placèrent en bataille pour donner l'assaut, et forcer les retranchemens de l'ennemi.
Le général Marmont, avec la division de dragons à pied du général Baraguey-d'Hilliers, bloquait la ville sur la rive droite du Danube.
La journée est affreuse. Le soldat est dans la boue jusqu'aux genoux. Il y a huit jours que l'empereur ne s'est débotté.
Le prince Ferdinand avait filé la nuit sur Biberach, en laissant douze bataillons dans la ville et sur les hauteurs d'Ulm, lesquels ont été tous pris, avec une assez grande quantité de canons.
Le maréchal Soult a occupé Biberach le 23 au matin.
Le prince Murat se met à la poursuite de l'armée ennemie, qui est dans un délabrement effroyable.
D'une armée de quatre-vingt mille hommes il n'en reste que vingt-cinq mille, et on a lieu d'espérer que ces vingt-cinq mille ne nous échapperont pas.
Immédiatement après son entrée à Munich, le maréchal Bernadotte a poursuivi le corps du général Kienmayer, lui a pris des équipages et fait des prisonniers.
Le général Kienmayer a évacué le pays et repassé l'Inn.
Ainsi la promesse de l'empereur se trouve réalisée, et l'ennemi est chassé de toute la Bavière.
Depuis le commencement de la campagne nous avons fait plus de vingt mille prisonniers, enlevé à l'ennemi trente pièces de canons et vingt drapeaux ; nous avons, de notre côté, éprouvé peu de pertes. Si l'on joint à cela les déserteurs et les morts, on peut calculer que l'armée autrichienne est déjà réduite de moitié.
Tant de dévouement de la part du soldat, tant de preuves touchantes d'amour qu'il donne à l'empereur et tant de si hauts faits mériteront des détails plus circonstanciés. Ils seront donnés du moment que ces premières opérations de la campagne seront terminées, et que l'on saura définitivement comment les débris de l'armée autrichienne se tireront de Biberach, et la position qu'ils prendront.
Au combat d'Elchingen, qui est un des plus beaux faits militaires qu'on puisse citer, se sont distingués : les dix-huitième régiment de dragons et son colonel Lefèvre, le colonel du dixième de chasseurs Colbert, qui a eu un cheval tué sous lui ; le colonel Lajonquières du soixante-seizième, et un grand nombre d'autres officiers.
L'empereur a aujourd'hui son quartier-général dans l'abbaye d'Elchingen.
De mon camp impérial d'Elchingen, le 26 vendémiaire an XIV (18 octobre 1805).
Au sénat conservateur.
Sénateurs,
«Je vous envoie quarante drapeaux conquis par mon armée dans les combats qui ont eu lieu depuis celui de Wertingen. C'est un hommage que moi et mon armée faisons aux sages de l'empire ; c'est un présent que des enfans font à leurs pères.
«Sénateurs, voyez-y une preuve de ma satisfaction pour la manière dont vous m'avez constamment secondé dans les affaires les plus importantes de l'empire.
Et vous, Français, faites marcher vos frères ; faites qu'ils accourent combattre à nos côtés, afin que, sans effusion de sang, sans efforts, nous puissions repousser loin de nous toutes les armées que forme l'or de l'Angleterre, et confondre les auxiliaires des oppresseurs des mers. Sénateurs, il n'y a pas encore un mois que je vous ai dit que votre empereur et son armée feraient leur devoir. Il me tarde de pouvoir dire que mon peuple fait le sien. Depuis mon entrée en campagne, j'ai dispersé une armée de cent mille hommes : j'en ai fait près de la moitié prisonniers ; le reste est tué, blessé, ou déserté, ou réduit à la plus grande consternation. Ces succès éclatans, je les dois à l'amour de mes soldats, à leur constance à supporter les fatigues. Je n'ai pas perdu quinze cents tues ou blessés. Sénateurs, le premier objet de la guerre est déjà rempli. L'électeur de Bavière est rétabli sur son trône. Les injustes agresseurs ont été frappés comme par la foudre, et avec l'aide de Dieu, j'espère, dans un court espace de temps, triompher de mes autres ennemis».

NAPOLÉON

 

 

18 octobre 1805

Elchingen, le 26 vendémiaire an XIV (18 octobre 1805) : Sixième bulletin de la Grande Armée. 

La journée d'Ulm a été une des plus belles journées de l'histoire de France.
La capitulation de la place est ci-jointe, ainsi que l'état des régimens qui y sont enfermés.
L'empereur eût pu l'enlever d'assaut ; mais vingt mille hommes, défendus par des ouvrages et des fossés pleins d'eau, eussent opposé de la résistance, et le vif désir de S.M. était d'épargner le sang.
Le général Mack, général en chef de l'armée, était dans la ville.
C'est la destinée des généraux apposés a l'empereur, d'être pris dans des places.
On se souvient qu'après les belles manoeuvres de la Brenta, le vieux feld-maréchal Wurmser fut fait prisonnier dans Mantoue, Mélas le fut dans Alexandrie, Mack l'est dans Ulm.
L'armée autrichienne était une des plus belles qu'ait eues l'Autriche.
Elle se composait de quatorze régimens d'infanterie formant l'armée dite de Bavière, de treize régimens de l'armée du Tyrol, et de cinq régimens venus en poste d'Italie, faisant trente-deux régimens d'infanterie, et de quinze régimens de cavalerie.
L'empereur avait placé l'armée du prince Ferdinand dans la même situation où il plaça celle de Mélas. Après avoir hésité longtemps, Mélas prit la noble résolution de passer sur le corps de l'armée française, ce qui donna lieu à la bataille de Marengo.
Mack a pris un autre parti: Ulm est l'aboutissant d'un grand nombre de routes. Il a conçu le projet de faire échapper ses divisions par chacune de ces routes, et de les réunir en Tyrol et en Bohême. Les divisions Hohenzollern et Werneck ont débouché par Memmingen. Mais l'empereur, dès le 20, accourut d'Augsbourg devant Ulm, déconcerta sur-le-champ les projets de l'ennemi, et fit enlever le pont et la position d'Elchingen, ce qui remédia à tout.
Le maréchal Souk, après avoir pris Memmingen, s'était mis à la poursuite des autres colonnes.
Enfin, il ne restait plus au prince Ferdinand d'autre ressource que de se laisser enfermer dans Ulm, ou d'essayer, par des sentiers, de rejoindre la division de Hohenzollern ; ce prince a pris ce dernier parti ; il s'est rendu à Aalen avec quatre escadrons de cavalerie.
Cependant le prince Murat était à la poursuite du prince Ferdinand.
La division Werneck a voulu l'arrêter à Langeneau ; il lui a fait trois mille prisonniers, dont un officier général, et lui a enlevé deux drapeaux. Tandis qu'il manoeuvrait par la droite à Heydenheim, le maréchal Lannes marchait par Aalen et Nordlingen.
La marche de la division ennemie était embarrassée par cinq cents chariots, et affaiblie par le combat de Langeneau.
A ce combat, le prince Murat a été très-satisfait du général Klein.
Le vingtième de dragons, le neuvième d'infanterie légère et les chasseurs de la garde impériale se sont particulièrement distingués. L'aide-de-camp Brunet a montré beaucoup de bravoure.
Ce combat n'a pas retardé la marche du prince Murat.
Il s'est porté rapidement sur Neresheim, et le 25, à cinq heures du soir, il est arrivé devant cette position.
La division de dragons du général Klein a chargé l'ennemi.
Deux drapeaux, un officier général et mille hommes ont été de nouveau pris au combat de Neresheim.
Le prince Ferdinand et sept de ses généraux n'eurent que le temps de monter à cheval.
On a trouvé leur dîner servi.
Depuis plusieurs jours ils n'ont aucun point pour se reposer.
Il paraît que le prince Ferdinand ne pourra se soustraire à l'armée française qu'en se déguisant, ou en fuyant avec quelques escadrons, par quelques routes détournées d'Allemagne.
L'empereur traversant une foule de prisonniers ennemis, un colonel autrichien témoignait son étonnement de voir l'empereur des Français trempé, couvert de boue, autant et plus fatigué que le dernier tambour de l'armée.
Un de ses aides-de-camp lui ayant expliqué ce que disait l'officier autrichien, l'empereur lui fit répondre : «Votre maître a voulu me faire ressouvenir que j'étais un soldat ; j'espère que la pompe et la pourpre impériale ne m'ont pas fait oublier mon premier métier.»
Le spectacle que l'armée offrait dans la journée du 23 était vraiment intéressant.
Depuis deux jours la pluie tombait à seaux.
Tout le monde était trempé ; le soldat n'avait pas eu de distribution.
Il était dans la boue jusqu'aux genoux ; mais la vue de l'empereur lui rendait sa gaieté, et du moment qu'il apercevait des colonnes entières dans le même état, il faisait retentir le cri de vive l'empereur !
On rapporte aussi que l'empereur répondit aux officiers qui l'entouraient, et qui admiraient comment, dans le moment le plus pénible, les soldats oublient toutes leurs privations, et ne se montrent sensibles qu'au plaisir de le voir: «Ils ont raison, c'est pour épargner leur sang que je leur fais essuyer de si grandes fatigues.»
L'empereur, lorsque l'armée occupait les hauteurs qui dominent Ulm, fit appeler le prince de Lichtenstein, général-major, enfermé dans cette place, pour lui faire connaître qu'il désirait qu'elle capitulât, lui disant que s'il la prenait d'assaut, il serait obligé de faire ce qu'il avait fait à Jaffa, où la garnison fut passée au fil de l'épée; que c'était le triste droit de la guerre; qu'il voulait qu'on lui épargnât et à la brave nation autrichienne la nécessité d'un acte aussi effrayant ; que la place n'était pas tenable ; qu'elle devait donc se rendre.
Le prince insistait pour que les officiers et soldats eussent la faculté de retourner en Autriche. «Je l'accorde aux officiers et non aux soldats, a répondu l'empereur ; car qui me garantira qu'on ne les fera pas servir de nouveau.»
Puis après avoir hésité un moment, il ajoute : «Eh bien, je me fie à la parole du prince Ferdinand.
S'il est dans la place, je veux lui donner une preuve de mon estime, et je vous accorde ce que vous me demandez, espérant que la cour de Vienne ne démentira pas la parole d'un de ses princes».
Sur ce que M. Lichtenstein assura que le prince Ferdinand n'était point dans la place. «Alors je ne vois pas», dit l'Empereur, «qui peut me garantir que les soldats que je vous renverrai ne serviront pas.»
Une brigade de quatre mille hommes occupe l'une des portes de la ville d'Ulm.
Dans la nuit du 24 au 25 il y a eu un ouragan terrible; le Danube est tout à fait débordé et a rompu la plus grande, partie de ses ponts ; ce qui nous gêne beaucoup pour nos subsistances.
Dans la journée du 23, le maréchal Bernadette a poussé ses avant-postes jusqu'à Wasserbourg et Haag sur la chaussée de Braunau; il a fait encore quatre ou cinq cents prisonniers à l'ennemi, lui a enlevé un parc de dix-sept pièces d'artillerie de divers calibres; de sorte que, depuis son entrée à Munich, sans perdre un seul homme, le maréchal Bernadotte a pris quinze cents prisonniers, dix-neuf pièces de canon, deux cents chevaux et un grand nombre de bagages.
L'empereur a passé le Rhin le 9 vendémiaire, le Danube le 14, à cinq heures du matin, le Lech le même jour, à trois heures après midi; ses troupes sont entrées a Munich le 20, ses avant-postes sont arrivés sur l'Inn le 23.
Le même jour il était maître de Memmingen, et le 25 d'Ulm.
Il avait pris à l'ennemi, aux combats de Wertingen, de Günzbourg, d'Elchingen, aux journées de Memmingen et d'Ulm, et aux combats d'Albeck, de Langeneau et de Neresheim, quarante mille hommes, tant infanterie que cavalerie, plus de quarante drapeaux, et un très-grand nombre de pièces de canon, de bagages, de voitures ; et pour arriver à ces grands résultats, il n'avait fallu que des marches et des manoeuvres.
Dans ces combats partiels, les pertes de l'armée française ne se montent qu'à cinq cents morts et à mille blessés.
Aussi le soldat dit-il souvent: L'empereur a trouvé une nouvelle méthode de faire la guerre, il ne se sert que de nos jambes et pas de nos bayonnettes.
Les cinq sixièmes de l'armée n'ont pas tiré un coup de fusil, ce dont ils s'affligent ; mais tous ont beaucoup marché, et ils redoublent de célérité quand ils ont l'espoir d'atteindre l'ennemi.
On peut faire en deux mots l'éloge de l'armée : Elle est digne de son chef.
On doit considérer l'armée autrichienne comme anéantie.
Les Autrichiens et les Russes seront obligés de faire beaucoup d'appels, de recrues, pour résister à l'armée française, qui est venue à bout d'une armée de cent mille hommes, sans éprouver, pour ainsi dire, aucune perte.

NAPOLÉON

 

19 octobre 1805

Klostersteinstrasse 10. Près de l'entrée de l’abbaye. Le  19 octobre, Napoléon reçut le général Mack dans cette maison, QG impérial du 15 au 21 octobre 1805.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour info : ces photos ont été prises en 2005, une époque à laquelle la qualité des appareils numériques n'était pas celle de nos jours ! Désolé.

 

Elchingen, le 27 vendémiaire an XIV (19 octobre 1805) : Septième bulletin de la Grande Armée. 

Le 26, à cinq heures du matin, le prince Murat est arrivé à Nordlingen, et avait réussi à cerner la division Werneck.
Ce général avait demandé à capituler.
La capitulation qui a été accordée n'arrivera que dans la journée de demain.
Les lieutenans-généraux Werneck, Baillet, Hohenzollern ; les généraux Vogel, Macklery, Hohenfeld, Weiberg et Dienesberg sont prisonniers sur parole, avec la réserve de se rendre chez eux.
Les troupes sont prisonnières de guerre et se rendent en France.
Plus de deux mille hommes de cavalerie ont mis pied à terre, et une brigade de dragons à pied a été montée avec leurs chevaux.
On assure que le parc de réserve de l'armée autrichienne, composé de cinq cents chariots, a été pris.
On suppose que tout le reste de la colonne du prince Ferdinand doit, à l'heure qu'il est, être investie, le prince Murat ayant débordé la droite par Aalen, et le maréchal Lannes la gauche par Nordlingen.
On attend le résultat de ces manoeuvres ; il ne reste au prince Ferdinand que peu de monde.
Aujourd'hui, à deux heures après midi, l'empereur a accordé une audience au général Mack ; à l'issue de cette audience, le général Berthier a signé avec le général Mack une addition à la capitulation, qui porte que la garnison d'Ulm évacuera la place demain 28.
Il y a dans Ulm vingt-sept mille hommes, trois mille chevaux, 18 généraux, et soixante ou quatre-vingts pièces de canon attelées.
La moitié de la garde de l'empereur était déjà partie pour Augsbourg ; mais S.M. a consenti de rester jusqu'à demain pour voir défiler l'armée autrichienne.
Tous les jours on est de plus en plus dans la certitude que, de cette armée de cent mille hommes, il n'en sera pas échappé vingt mille ; et cet immense résultat est obtenu sans effusion de sang.
L'empereur n'est pas sorti aujourd'hui d'Elchingen ; les fatigues et la pluie continuelle, que depuis huit jours il a essuyées, ont exigé un peu de repos.
Mais le repos n'est pas compatible avec la direction de cette immense armée.
A toute heure du jour et de la nuit, il arrive des officiers avec des rapports, et il faut que l'empereur donne des ordres.
Il paraît fort satisfait du zèle et de l'activité du général Berthier.
Demain 28, à trois heures après midi, vingt-sept mille soldats autrichiens, soixante pièces de canon, dix-huit généraux, défileront devant l'empereur et mettront bas les armes.
L'empereur a fait présent au sénat des drapeaux de la journée d'Ulm.
Il y en aura le double de ce qu'il annonce, c'est-à-dire quatre-vingts.
Pendant ces cinq jours, le Danube a débordé avec une violence qui était sans exemple depuis cent ans. L'abbaye d'Elchingen, dans laquelle est établi le quartier-général de l'empereur, est située sur une hauteur d'où l'on découvre tout le pays.

On croit que, demain au soir, l'empereur partira pour Munich. L'armée russe vient d'arriver sur l'Inn

 

Elchingen, le 28 vendémiaire an XIV (20 octobre 1805) : Huitième bulletin de la Grande Armée. 

L’Empereur a passé aujourd’hui 28, depuis deux heures après midi jusqu’à sept heures du soir, sur la hauteur d’Ulm, où l’armée autrichienne a défilé devant lui.
Trente mille hommes, dont deux mille de cavalerie, soixante pièces de canon et quarante drapeaux ont été remis aux vainqueurs, L’armée française occupait les hauteurs.
L’empereur, entouré de sa garde, a fait appeler les généraux autrichiens ; il les a tenus auprès de lui jusqu’à ce que les troupes eussent défilé ; il les a traités avec les plus grands égards.
Il y avait sept lieutenans-généraux, huit généraux et le général en chef Mack.
On donnera dans le bulletin suivant les noms des généraux et des régimens.
On peut donc évaluer le nombre des prisonniers faits depuis le commencement de la guerre à soixante mille, le nombre des drapeaux à quatre-vingts, indépendamment de l’artillerie, et des bagages, etc. Jamais victoires ne furent plus complètes et ne coûtèrent moins.
On croit que l’empereur partira dans la nuit pour Augsbourg et Munich, après avoir expédié ses courriers

 

Elchingen, le 29 vendémiaire an XIV (21 octobre 1805) : Neuvième bulletin de la Grande Armée. 

L'empereur vient de faire la proclamation et de rendre les décrets ci-joints.
A midi, S.M. est partie pour Augsbourg.
On a enfin le compte exact de l'armée renfermée dans Ulm; elle se monte a trente-trois mille hommes, ce qui, avec trois mille blessés, porte la garnison prisonnière à trente-six mille hommes.
Il y avait aussi dans la place soixante pièces de canon, avec leur approvisionnement et cinquante drapeaux.
Rien ne fait un contraste plus frappant que l'esprit de l'armée française et celui de l'armée autrichienne.
Dans l'armée française, l'héroïsme est porté au dernier point ; dans l'armée autrichienne, le découragement est à son comble.
Le soldat est payé avec des cartes, il ne peut rien envoyer chez lui, et il est très-maltraité.
Le Français ne songe qu'à la gloire.
On pourrait citer un millier de traits comme le suivant: Brard, soldat du soixante-seizième régiment, allait avoir la cuisse amputée; il avait la mort dans l'âme.
Au moment où le chirurgien se préparait à faire l'opération, il l'arrête : «Je sais que je n'y survivrai pas, mais n'importe ; un homme de moins n'empêchera pas le soixante-seizième de marcher, la baïonnette en avant, et sur trois rangs, à l'ennemi.»
L'empereur n'a à se plaindre que de la trop grande impétuosité des soldats.
Ainsi le dix-septième d'infanterie arrivé devant Ulm, se précipita dans la place ; ainsi pendant la capitulation toute l'armée voulait monter à l'assaut, et l'empereur fut obligé de déclarer fermement qu'il ne voulait pas d'assaut.
La première colonne des prisonniers faits dans Ulm part dans ce moment pour la France.
Voici le nombre de nos prisonniers, du moins de ceux actuellement connus, et les lieux où ils se trouvent : dix mille à Augsbourg ; trente-trois mille dans Ulm ; douze mille à Donawerth, et douze mille qui sont déjà en marche pour la France. L'empereur dit dans sa proclamation que nous avons fait soixante mille prisonniers. Il est probable qu'il y en aura davantage. Il porte le nombre des drapeaux pris à quatre-vingt-dix ; il est probable aussi que nous en aurons davantage.
L'empereur a dit aux officiers-généraux autrichiens qu'il avait appelés près de lui pendant que l'armée ennemie défilait : «Messieurs, votre maître me fait une guerre injuste. Je vous le dis franchement, je ne sais pas pourquoi je me bats ; je ne sais ce que l'on veut de moi.
«Ce n'est pas dans cette seule armée que consistent mes ressources. Cela serait-il vrai, mon armée et moi ferions bien du chemin. Mais j'en appelle aux rapports de vos propres prisonniers qui vont bientôt traverser la France ; ils verront quel esprit anime mon peuple, et avec quel empressement il viendra se ranger sous mes drapeaux. Voilà l'avantage de ma nation et de ma position : avec un mot, deux cent mille hommes de bonne volonté accourront près de moi, et en six semaines seront de bons soldats ; au lieu que vos recrues ne marcheront que par force, et ne pourront, qu'après plusieurs années, faire des soldats.
«Je donne encore un conseil à mon frère l'empereur d'Allemagne ; qu'il se hâte de faire la paix. C'est le moment de se rappeler que tous les empires ont un terme ; l'idée que la fin de la dynastie de Lorraine serait arrivée doit l'effrayer. Je ne veux rien sur le continent, ce sont des vaisseaux, des colonies, du commerce, que je veux ; et cela vous est avantageux comme a nous.» M. Mack a répondu que l'empereur d'Allemagne n'aurait pas voulu la guerre, mais qu'il y a été forcé par la Russie.
En ce cas, a répondu l'empereur, vous n'êtes donc plus une puissance.
Du reste, la plupart des officiers généraux ont témoigné combien cette guerre leur était désagréable, et avec quelle peine, ils voyaient une armée russe au milieu d'eux.
Ils blâmaient cette politique assez aveugle pour attirer au coeur de l'Europe un peuple accoutumé à vivre dans un pays inculte et agreste, et qui, comme ses ancêtres, pourrait bien avoir la fantaisie de s'établir dans de plus beaux climats.
L'empereur a accueilli avec beaucoup d'affabilité le lieutenant-général Klenau, qu'il avait connu commandant le régiment Wurmser ; les lieutenans-généraux Giulay, Gottesheim, Ries ; les princes de Lichtenstein, etc.
Il les a consolés de leur malheur, leur a dit que la guerre a ses chances, et qu'ayant été souvent vainqueurs, ils pouvaient être quelquefois vaincus.

Du quartier impérial d'Elchingen, le 29 vendémiaire an XIV (21 octobre 1805).

Proclamation à l'armée.

Soldats de la grande armée,

«En quinze jours nous avons fait une campagne. Ce que nous nous proposions est rempli, nous avons chassé les troupes de la maison d'Autriche de la Bavière et rétabli notre allié dans la souveraineté de ses états. Cette armée qui, avec autant d'ostentation que d'imprudence, était venue se placer sur nos frontières, est anéantie. Mais qu'importe à l'Angleterre ? son but est rempli. Nous ne sommes plus a Boulogne, et son subside ne sera ni plus ni moins grand.
De cent mille hommes qui composaient cette armée, soixante mille sont prisonniers.
Ils iront remplacer nos conscrits dans les travaux de nos campagnes ; deux cents pièces de canon, tout le parc, quatre-vingt-dix drapeaux, tous les généraux sont en notre pouvoir ; il ne s'est pas échappé de cette armée quinze mille hommes. Soldats, je vous avais annoncé une grande bataille ; mais, grâces aux mauvaises combinaisons de l'ennemi, j'ai pu obtenir les mêmes succès sans courir les mêmes chances ; et ce qui est inconcevable dans l'histoire des nations, un si grand résultat ne nous affaiblit pas de plus de quinze cents hommes hors de combat.
«Soldats, ce succès est dû à votre confiance sans borne dans votre empereur, à votre patience à supporter les fatigues et les privations de toute espèce, a votre rare intrépidité.
«Mais nous ne nous arrêterons pas là. Vous êtes impatient de commencer une seconde campagne. Cette armée russe, que l'or de l'Angleterre a transportée des extrémités de l'univers, nous allons lui faire éprouver le même sort.
«À ce combat est attaché plus spécialement l'honneur de l'infanterie ; c'est là que va se décider, pour la seconde fois, cette question qui l'a déjà été en Suisse et en Hollande : Si l'infanterie française est la seconde ou la première de l'Europe ? Il n'y a pas là de généraux contre lesquels je puisse avoir de la gloire à acquérir. Tout mon soin sera d'obtenir la victoire avec le moins possible d'effusion de sang : mes soldats sont mes enfans.

NAPOLÉON.


Décret.
Napoléon, empereur des Français et roi d'Italie,
Considérant que la grande armée a obtenu par son courage et son dévouement des résultats qui ne devaient être espérés qu'après une campagne.

Et voulant lui donner une preuve de notre satisfaction impériale, nous avons décrété et décrétons ce qui suit : Art. 1er. Le mois de vendémiaire de l'an XIV sera compté comme une campagne à tous les individus composant la grande armée.
Ce mois sera porté comme tel sur les états pour l'évaluation des pensions et pour les services militaires.
Nos ministres de la guerre et du trésor public sont chargés de l'exécution du présent décret.


NAPOLÉON.

22-23 octobre 1805 : Augsburg

Le Fronhof à Augsbourg, l'ancien palais de l’électeur de Trèves, Clemens Wenceslas, où l'Empereur  Napoléon séjourna les 22-23 octobre 1805.

Suite : Du 28 octobre (20 brumaire an XIV) au 10 novembre 1805

 

 

Cartes : Johnston, Alex. Keith, Atlas to Alison's History of Europe, William Blackwood and Sons, Edinburgh and London,  1848 et 1850.

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