Dominique MILLOT (1782-1850)
Dominique Millot est un de ces nombres héros trop peu connus de l'épopée impériale. Il naît le 29 octobre 1782 à Crézilles, à 11 km au sud de Toul.
Le texte ci-dessous est un résumé des recherches de Gérard Gelé, qui nous a permis de mentionner les éléments communiqués dans le forum www.napoleon1er.org . Nous voulons de tout cœur le remercier ici. Si quelqu'un disposait d'informations complémentaires au sujet de Dominique Millot -e.a. des extraits de son dossier militaire- nous nous ferons un plaisir de les transmettre à M. Gelé.
Heilsberg, le 10 juin 1807
Nous n'avons pas d'informations sur le début de sa carrière, mais nous le retrouvons le 10 juin 1807, brigadier au 8ème Régiment de Cuirassiers, lors de la bataille d'Heilsberg, 4 jours avant Friedland. Le 8ème Cuirassiers fait alors partie de la 3ème division de cavalerie lourde sous le commandement du général Espagne. La grande histoire rencontre alors la sienne, car, selon certaines sources, il sort le maréchal Murat de l'embarras en le dégageant de sous son cheval mort et en lui passant le sien.
Pourtant, Parquin (pp. 40-41) cite le récit de son ami le maréchal-des-logis Jean Henry (et non Henri (cf. Jourquin, op. cit.)), du 20ème Chasseurs à Cheval, détaché d'ordonnance ce jour-là auprès du prince Murat.
- En un instant nous fûmes aux prises, et nous donnions les premiers coups de sabre, lorsqu'un boulet abattit le cheval du Prince. Je me jetai tout de suite à terre, et tenant la bride de mon cheval sous le bras j'aidai le prince à se retirer de dessous son cheval. Il y laissa la botte gauche dans l'étrier.
- Ce n'est rien ! Ce n'est rien ! Un cheval !" dit le Prince. J'offris le mien qui fut accepté, et le prince monta en selle, un pied chaussé et l'autre nu, comme dans la chanson. Ce n'était pas pour se tirer hors du danger que le prince avait pris mon cheval ; c'était, au contraire, pour se précipiter au milieu de l'ennemi aux cris : "En avant ! En avant ! Vive l'Empereur !" Et dans un quart d'heure, trois à quatre mille Cosaques qui s'étaient rendus maîtres du centre de la plaine en furent balayés comme la poussière."
Murat à Heilsberg, par Myrbach.
La bravoure de la division Espagne a enthousiasmé Murat. A peine les cuirassiers se sont-ils arrêtés pour souffler, qu'il leur crie : "Cuirassiers, vous êtes les plus intrépides cavaliers du monde . L'Empereur saura ce que vous avez fait aujourd'hui."
Parquin raconte encore comment Henry rapporta le soir la selle de Murat au quartier général : " Je t'assure que j'en avais la charge, car l'or y dominait sur le fer. Le prince Murat me fit remettre mon cheval (Schipska) le soir, et m'ayant fait demander le numéro de mon régiment et mon nom, je fus décoré après la campagne."
Parquin donne tant de détails, jusqu'au nom du cheval, qu'on est presque obligé de le croire ! Il semble donc bien qu'il y ait une certaine confusion entre le maréchal des logis (depuis 1806, et donc pas brigadier) Henry du 20ème Chasseurs à cheval, décoré de la Légion d'Honneur après Heilsberg et cité par de nombreuses sources, et Millot.
Millot se retrouve donc sans cheval (s'il ne l'a pas passé à Murat, il n'a peut-être tout simplement perdu au combat) et recueille la botte garnie d'ornements de fantaisie. Après l'action, il la rapporte à Murat au moment où ce dernier s'entretient avec l'Empereur. Voyant sa botte entre les mains du brigadier du 8ème Cuir, Murat raconte son histoire à l'Empereur, qui fait offrir un verre d'eau-de-vie à Millot.
La légende veut que l'Empereur fit appeler Millot le soir de la bataille et le décora en disant :"Fais en sorte de te montrer toujours digne de la récompense que je t'accorde. Tes camarades ne devront pas s'en montrer jaloux, car en te décorant, l'honneur que tu reçois rejaillit sur eux". C'est d'ailleurs ce texte qui figure la tombe de Millot.
Notons que la "Monographie de Crézilles" situe l'anecdote à Austerlitz, ce qui est une erreur.
Murat à Heilsberg
Tout ceci n'étant pas absolument clair, nous avons eu la curiosité de rechercher des éléments de cette anecdote historique dans les biographies de Murat (Cf. la bibliographie ci-dessous). Nous n'en avons malheureusement trouvé aucun qui parle de Millot.
Le 9 juin, Murat, à la tête de la Réserve de Cavalerie composée de la division de cavalerie légère de Lasalle, de la division de dragons de Latour-Maubourg et de la division de cuirassiers d'Espagne, reçoit l'ordre de l'Empereur de simplement garder le contact avec les troupes russes, sans rechercher le combat. Mais le 10, il oublie les ordres de l'Empereur et attaque les 80.000 Russes, bien retranchés et munis d'une forte artillerie avec ses 9000 cavaliers. Aucun plan, il fonce dans le tas avec l'ensemble de ses troupes, malgré un terrain très défavorable à la cavalerie. Les Russes sont en effet retranchés sur une hauteur qu'on peut seulement atteindre par une vallée couverte par les feux de l'artillerie ! De plus, cette vallée est très humide ("On ne put retirer les chevaux qu'avec des cordes, après la bataille." Lucas-Dubreton, op. cit., p.117.)
Murat enlève donc que toute sa cavalerie, 18 régiments (!), de manière fort peu orthodoxe et il fonce sur les 400 pièces d'artillerie russes. Au cours de la charge, son cheval est atteint par un boulet (selon Lucas-Dubreton et Parquin) ou une balle (selon Dupont) et s'écroule. Les biographes de Murat sont plusieurs à rapporter cet événement. Tous s'accordent également à dire qu'une de ses bottes reste coincée sous le cheval et qu'il se dégage, un pied nu (selon d'autres, il garde sa chaussette !). Ce qui arrive alors est moins clair. Lucas-Dubreton dit que c'est à ce moment -donc au moment où Murat est à terre- que Lasalle le dégage. Par contre, pour Dupont, le prince saute alors sur la monture d'un brigadier de chasseurs (et non des cuirassiers) et se lance à nouveau dans la mêlée, d'où il est dégagé par Lasalle au moment où il allait être submergé par les cavaliers russes.
Les historiens s'accordent également pour dire que, à peine quelques minutes plus tard, Murat rend la pareille à Lasalle, ce qui donnera le fameux : " Nous sommes quittes, mon cher général." lancé par le Grand-Duc. Par la folie intrépide de Murat, la journée est très coûteuse pour l'armée impériale (7000 hommes, selon Dupont), sans aucun avantage réel.
La question est bien sûr de savoir si Murat eut deux chevaux tués sous lui à Heilsberg (recevant un cheval d'un brigadier de chasseurs (Henry) et l'autre de Millot), ce qui n'est pas impossible, vu sa façon de conduire la charge, mais qu'aucun historien ne confirme, ni même ne mentionne. Mais dans ce cas, comment expliquer que Henry récupère Schipska le soir ?
Alors, l'intervention de Millot à Heilsberg se limite-t-elle à avoir rapporté sa botte au Prince ? L'anecdote de la goutte avec l'Empereur, à cette occasion, est tout à fait plausible.
De toute façon, il est clair que Millot ne doit pas sa Légion d'Honneur à cet événement, mais bien à la bravoure constante qui l'a démontrée au cours des campagnes, et dont tous ses camarades ont témoigné après Wagram.
Schönbrunn, le 13 août 1809
En réalité, Millot fut décoré deux ans plus tard, après la bataille de Wagram.
Au mois d'août 1809; le 8ème
Cuirassiers est passé en revue par l'Empereur à Schönbrunn; l'étoile des braves
est remise aux lieutenants Ceyral, David et Libert, au maréchal-des-logis
Taboureau (surnommé le brave Taboureau, le héros d'Heilsberg, qui sauva l'Aigle
d'un régiment, dont les ennemis étaient sur le point de s'emparer).
Napoléon, voulant donner encore une croix au 8ème Cuirassiers,
demanda au colonel le nom du plus brave : "Tout le monde est brave au 8ème"
répondit le colonel.
L'Empereur s'adressa alors aux cuirassiers : "Quel est le plus brave d'entre
vous ? "
Toutes les voix répondirent " MILLOT !" L'Empereur fait sortir Millot du
rang et lui dit en lui remettant la croix :
-Je t'ai vu quelque part.
-Oui, Sire, nous avons bu la goutte
ensemble à Heilsberg.
Peu après, à l'automne 1809, Dominique Millot est muté à la prestigieuse unité des Grenadiers à Cheval de la Garde impériale.
C'est sans doute dans cette unité, et dans des circonstances qui nous sont inconnues, qu'il est gravement blessé de plusieurs coups à la tête, blessures qui le laissent aveugle.
Le "Bélisaire de la Grande Armée"
La "Monographie de Crézilles" nous raconte que Millot serait le "Bélisaire de la Grande Armée", chanté par Victor Hugo, ce héros qui, devenu aveugle par suite de ses blessures et revêtu de son vieil uniforme, implorait dans les rues de Paris la charité publique.
M. Gelé a retrouvé dans les archives de la mairie de Crézilles 4
passeports d'indigent, avec secours de route.
- le 10 avril 1820 : voyage de Clermont-Ferrand à Crézilles à 36 ans;
- en 1831 : voyage de Crézilles à Paris à 48 ans;
- le 26 juillet 1833 : voyage de Paris à Crézilles à 50 ans ;
- le 11 mais 1841 : voyage de Crézilles à Paris à 59 ans.
C'est sans doute au cours de ces voyages que Victor Hugo la rencontré ou a entendu parler de lui.
Cependant, la raison de ces multiples voyages restait incertaine. Tout renseignement à ce sujet serait également le bienvenu.
Nous avons même son signalement:
Age ...
Profession : ancien militaire, chevalier de la légion d'honneur.
Natif de Crézilles.
Taille : 1m80,
Cheveux : bruns,
Sourcils : châtains,
Nez : moyen,
Barbe : brune,
Visage : ovale,
Front : haut,
Yeux : gris-bleu (aveugle)
Bouche : grande,
Menton : large,
Teint : coloré.
Signes particuliers : Aveugle, blessures multiples sur la tête et aux mains.
Toujours accompagné par son fils ou de ses filles.
Ne signe pas, car illettré
Comme il est indiqué sur sa tombe, il décède le 28 mars 1850 à l'âge de 68 ans.
Il repose au chevet de l'église de Crézilles en Meurthe-et-Moselle, son village
natal.
Voici, à gauche, sa tombe telle que nous l'avons trouvée en 2006. Depuis lors,
elle a été magnifiquement restaurée par M. Gérard Gelé, du Cercle généalogique
de Charmes, et l'association "le livre, l'histoire et l'obusier " de Neuves-Maisons, présidée par M. Jean-Claude PERRIN.
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MILLOT
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La tombe est surmontée d'un beau buste du héros, en uniforme des Grenadiers à Cheval de la Garde impériale, avec la Légion d'Honneur.
Voici le texte explicatif placé devant la tombe de Millot :
Dominique Millot, l'homme et sa légende.
Nous avions un buste, celui de sa tombe et une citation à l'origine mystérieuse. Des recherches historiques qui ont permis de reconstituer le parcours du brigadier Millot de la gloire à la misère. Né à Crézilles le 29 10 1782, décédé à Crézilles le 28 05 1850.
Chevalier de la légion d'Honneur.
Par son courage, ses exploits, ses blessures, ses rencontres avec la petite et la grande Histoire, son sens de la répartie, l'homme sort de l'ordinaire. Comme c'est souvent le cas, le brigadier est le créateur de sa légende, son diffuseur, avec le concours de sa famille, de ses camarades de l'épopée napoléonienne, son chef de peloton Feuillade, son Colonel, le baron JBG Merlin, la famille Prugneaux, des pays, de Moutrot à deux lieues de Crézilles et pour finir le prince Joachim Murat et l'empereur Napoléon.
Dominique Millot Brigadier des Cuirassiers du 8e Régiment, de 1802 à 1811.
Au mois d'août 1809, les troupes sont passées en revue par l’Empereur à Schönbrunn, le 8e Cuirassiers se voit attribuer cinq étoiles des braves. Napoléon, voulant donner encore une Croix au 8e, demande au Colonel le nom du plus brave:
« Tout le monde est brave au 8e » répond le Colonel.
L'Empereur s'adressant aux Cuirassiers :
«Quel est le plus brave d'entre vous ?».
Toutes les voix répondent : « Millot ».
L'Empereur fait sortir Millot du rang et lui dit en lui remettant sa Croix :
Je t'ai vu quelque part !
Oui, Sire, répond Millot, nous avons bu la goutte ensemble à Heilsberg en juin 1807, où après avoir sauvé d'un sort funeste le prince Murat vous m'avez remercié ! Napoléon prit la croix et la fixa lui-même, en ajoutant face au 8e cuirassiers:
"Fais en sorte de te montrer toujours digne de la récompense que je t'accorde. Tes camarades ne devront pas s'en montrer jaloux, car en te décorant, l'honneur que tu reçois rejaillit sur eux".
De toute façon, il est clair que Millot ne doit pas sa Légion d'Honneur à cet événement, mais bien à la bravoure constante qu’il a démontrée au cours des campagnes, et dont tous ses camarades ont témoigné après Wagram. Gendarme de 1811 à 1814 mis en congé absolu, il perd la vue, à la suite de ses 17 blessures reçues aux combats.
Pauvre et aveugle, Il pose pour le dessinateur Lalaisse François Hippolyte en 1829, qui le représente mendiant avec sa fille dans la rue à Paris. Le hasard veut que Victor Hugo annote la gravure d'un quatrain. C'est le début de la légende du Bélisaire de la Grande Armée.
Aveugle comme
Homère et comme Bélisaire
N'ayant plus qu'un enfant pour guide et pour appui,
La main qui donnera du pain à sa misère
Il ne la verra pas, mais Dieu la voit pour lui. »
A lui la gloire, à nous la mémoire.
Etude de Gérard Gelé CGHPC UCGL 4305
On remarquera, dans le même cimetière, le très beau cénotaphe, également surmonté d'un buste, de Joseph Erasme Jeannot, soldat au 98 de Ligne, décédé devant Sébastopol le 9 septembre 1855 à l'âge de 26 ans.
Avec tous nos remerciements à M. Gérard Gelé.
Celui-ci a eu l'amabilité de nous a fait parvenir une planche de bande dessinée originale sur la vie de ce héros méconnu.
BD et texte d'après les recherches de Gérard Gelé. Mise en pages et scénario de Claude Gelé. Illustrations et dessin de Marjolaine Biamonti-Gelé.
L'histoire est authentique, les images sont la libre
interprétation de l'artiste, les uniformes purement imaginaires et sans
prétention historique.
Cérémonie du 14 juillet 2010 sur la tombe de D. Millot (photos aimablement communiquées par M. G. Gelé)
organisée par M. Gérard Gelé, la mairie de Crézilles et les Cercles lorrains de généalogie. www.lelivrelhistoireetlobusier.fr
Bibliographie :
- Marcel Dupont, Murat, Cavalier, Maréchal de France, Prince et Roi, éditions Copernic, 1980.
- J. Lucas-Dubreton, Murat, Fayard, 1944.
- Yves Buffetaut, Collection "Les grandes Destinées" N°4, Murat, Roi de Naples : la chevauchée du meilleur cavalier de l'Empire, 1994.
- Parquin, Récits de guerre, Souvenirs de Parquin, Introduction de F. Masson, 1892
- Jacques Jourquin, Souvenirs et biographie du Commandant Parquin, Tallandier, 2003.
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