Huningue 1796-1815

 

1815

 

Huningue apparaît tout à coup, si mal connue et si illustre ! Sa résistance, en 1815, est un des faits d’armes dont l’histoire garde, pour ainsi dire, l’éblouissement attendri.
 

Comme Neuf-Brisach, cette ville est une création du XVIIe français. Avant la réunion de l’Alsace à la France, Huningue n’était qu’un village. En 1679, Vauban bâtit la ville tout près du village, qui s’effaça. Comme à Neuf-Brisach, les habitations furent construites dans le goût local le plus pur. Un pont fut jeté sur le Rhin ; une redoute fut édifiée pour protéger le pont. Après maintes alternatives, les fortifications s’achevèrent pendant la Révolution.
 

En 1815, Huningue avait pour commandant de place le général Barbanègre, et pour garnison cent artilleurs, trente fantassins, cinq gendarmes. Quarante retraités se joignirent aux combattants.

Sabre ayant appartenu au général Barbanègre
 

Les plus grandes difficultés semblaient s’opposer à ce que cette place fut défendue : l’insuffisance des moyens, en matériel, en approvisionnements et surtout en personnel, le mauvais état des ouvrages, la destruction des retranchements de l’autre côté du Rhin, et le défaut d’argent, n’étaient pas les moindre obstacles que le général Barbanègre devait rencontrer. La population aida la garnison de toutes ses forces, de toute son âme. Elle partagea travaux, dangers, privations.
 

L’armée assiégeante comptait trente mille hommes. L’archiduc Jean, qui la commandait, fit annoncer le 25 juin la défaite de Waterloo et l’abdication de Napoléon. « Sont-ce des raisons pour que Huningue se rende ? ». Le lendemain, les Autrichiens et les Suisses attaquèrent l’avant-garde de l’armée du Jura qui fit retraite.
 

Les Suisses , que tant de motifs auraient dû attacher à la France, non contents de s’être déclarés ses ennemis, eurent la lâcheté, quand ils virent qu’ils n’avaient plus à redouter l’armée française, de venir ravager nos campagnes, ils se précipitèrent par torrents sur nos villages qu’ils incendièrent après les avoir pillés. Les habitants de Bâle, enchérissant sur les soldats, parcoururent les campagnes avec des chariots, et enlevèrent aux malheureux Français ce que les militaires n’avaient pu emporter, ou ce qui n’avait pas été la proie des flammes. Indigné de tant d’atrocités, le général Barbanègre en demanda satisfaction ; refusé avec hauteur par les autorités du canton, il fit bombarder Bâle ; ce qui révéla la faiblesse de la forteresse : le plupart des bombes chargées depuis longtemps n’éclataient pas ou faisaient explosion en l’air.
 

Le commandant en chef de l’armée alliée, ne pouvant rien obtenir par la ruse, convertit alors le blocus en siège. La tranchée fut ouverte le 14 août. Le 19 août, accablée de projectiles par cent seize pièces de canon, la ville n’était plus en quelques heures qu’un monceau de ruines et de cendres. Cependant, la garnison fit ses conditions : elle obtint les honneurs de la guerre et le droit de rejoindre l’armée de la Loire.
 

À la nouvelle qu’Huningue venait enfin d’ouvrir ses portes, on accourut de tous les points de la Suisse, et même d’une partie du grand-duché de Bade pour voir défiler cette garnison héroï-que ; le prince impérial d’Autriche et beaucoup d’autres personnes illustres se faisaient remarquer par leur présence.  Le pont-levis s’abaissa.  Le 26 août 1815, la garnison parut.  Elle était réduite à cinquante hommes.  Ces cinquante hommes, qui avaient résisté à trente mille, défilèrent tambour battant, sous la conduite du général Barbanègre.  On apprit bientôt que c’était là toute la troupe, les spectateurs éclatèrent en applaudissements, en clameurs.  L’archiduc Jean s’avança pour serrer Barbanègre dans ses bras. – « N’approchez pas, dit Barbanègre, j’ai des poux. »

 

Sortie de la garnison de Huningue, le 20 Août 1815, par Edouard Detaille

déposé au Sénat, Paris (le 4 mars 1925), affecté au musée d'Orsay.
http://www.musee-orsay.fr/fr/collections/catalogue-des-oeuvres/notice.html?no_cache=1&nnumid=070325&cHash=70757ebd1e
 

Barbanègre, âgé alors de quarante-trois ans, s’était distingué à Austerlitz, à Iéna, à Eylau, dans les campagne de 1809, 1810, 1812 ; il s’était montré administrateur habile autant que chef vaillant et il avait défendu Stettin pendant toute la campagne de 1813. Après le départ de Napoléon en 1815, il vécut dans la retraite. Il mourut en 1830.
 

Par les traités de 1815, les fortifications d’Huningue furent condamnées à être détruites. Autour de la ville, les remparts sont rasés, mais le sol en conserve encore le dessin ; ainsi les lourds anneaux longuement portés laissent une trace dans la chair.

 

 

Pendant que nous sommes à Huningue, profitons pour retourner quelques années en arrière...

1796

 

La défense d’Huningue en 1815 n’a pas été moins glorieuse que celle de la tête de pont de la même ville, sur la rive droite du Rhin, défense qui a immortalisé le général Abbatucci. Chargé de la défense de la forteresse, celui-ci repoussa tous les efforts du feld-maréchal comte de Fürstenberg contre la tête de pont.  Dans la nuit du 1er décembre 1796, il fut mortellement  blessé d'une balle tirée par un grenadier hongrois gisant blessé dans les fossés. Abbatucci tomba dans les bras d'un de ses officiers, qui allait plus tard devenir le général Foy.  En 1801, Moreau lui éleva un monument sur la route de Bâle.  Les Autrichiens le détruisirent en 1815.  Réédifié sur la route de Saint-Louis en 1818, il fut orné de bas-reliefs en 1854, puis transféré en 1907 sur la place publique de Huningue

 

Avant 1907 s’élevaient tout près de Huningue, l’un en face de l’autre, le monument d’Abbatucci et celui de Chérin. Ils étaient reliés l’un à l’autre par une belle avenue d’ormes.  Lorsque l’on transporta sur la place d’armes de Huningue le monument d’Abbatucci, les ormes semblèrent à demi-veufs.

 

Des chaînes de fer soutenues par quatre bornes, portant chacune une bombe, entouraient le monument de Chérin, petite pyramide basse placée en une espèce de cippe, avec ces mots sur un côté : "Chérin, général de division" et ces autres mots sur l’autre côté : "Blessé à Riesbach, en avant de Zurich, le VII prairial / Mort à Huningue, le XX prairial an VII".  Lieutenant de Masséna, atteint mortellement à la bataille de Zurich, en 1796, Chérin vécut assez d’heures pour voir les armées russes et autrichiennes forcées d’évacuer la Suisse et pour arriver lui-même à Huningue, où il expira.  L’armée du Rhin, reconnaissante, lui éleva ce monument.

 

Tombe du général Louis Nicolas Hyacinthe Chérin à Huningue.

L'endroit semble bien tenu, mais il ne faut pas se fier aux apparences... Le monument du brave général sert plutôt de toilettes publiques aux gens des environs, un vrai scandale...
 

Le monument d’Abbatucci, obélisque rouge de huit mètres de haut, posé sur un socle orné de deux bas-reliefs et de deux plaques, portait une dédicace aussi noble que simple :

 

Au général Abbatucci, mort pour la patrie.

 

Une inscription remplissait la première plaque :

A peine âgé de vingt-six ans

et déjà l’émule des plus illustres capitaines

il termina sa glorieuse

mais trop courte car-rière

le 2 décembre 1796

en défendant la tête du pont de Huningue.

La seconde plaque disait :

Ce monument élevé en 1801 par le général Moreau

au nom de l’armée du Rhin et de la Moselle

avait été détruit en 1815

la reconnaissance publique l’a rétabli en 1828.

Actuellement, les deux inscriptions sont réunies sur une même plaque au verso du monument.

 

Le passage du Lech en Bavière

Le général blessé à la défense de Huningue.


   

 

Abbatucci, qui s’était signalé en Hollande et à qui on venait de confier le commandement de la ville, tenta une sortie avec quelques grenadiers. Ses derniers mots furent : « Pour la patrie ! ».

 

 

 

 

 

 

 


    Le premier bas-relief représente « le siège de la tête de pont, suivi des républicains ».  Le jeune général aux cheveux longs s’élance contre l’ennemi : un Autrichien abaisse vers lui son fusil et va faire feu. Le second bas-relief représente le héros frappé par une balle.  De sa main, il comprime sa poitrine trouée. Les républicains s’empressent autour de lui.  Le général Foy le reçoit dans ses bras.  Ces bas-reliefs sont de Grass, le bon sculpteur strasbourgeois qui a exécuté, devant la cathédrale de Strasbourg, le monument d’Erwin.

 

En 1900, avant son transfert, le monument était entouré d’une grille formée de piques, parmi lesquelles se dressaient huit faisceaux de licteurs, surmontés de la hache.

Le buste du général Abbatucci dans la galerie des batailles du château de Versailles.

Ouvrages utilisés :
Victoires et conquêtes, Dictionnaire Six,
Sabretache 1902, Le magasin pittoresque 1906,
archives familiales, etc. RC
d’après Roger Peyre, 1888

Dans la revue de l'ACMN, 2ème semestre 1999.

 

Et si vous vous rendez sur place, n'oubliez pas de visiter le petit musée municipal historique et militaire, place Abbatucci !

    Retour à la page d'accueil