CAMPAGNE DE 1805

 

Le 11 novembre 1805 (20 brumaire an XIV) : COMBAT DE DÜRNSTEIN[1]

Un des plus mémorables combats de nos guerres contemporaines est sans contredit celui de Dürnstein, et il ne fallut rien moins que les grands résultats de la bataille d'Austerlitz, qui le suivit de près, pour détourner l'attention publique d'une action aussi éclatante. Elle immortalise les troupes qui y combattirent et le lieu qui en fut le témoin.

Nous avons vu dans le mois d'octobre (17) comment l'armée autrichienne, arrivée seule sur le champ de bataille, fut battue et dispersée dans les plaines de la Bavière par l'armée française, commandée par l'empereur Napoléon. A moitié détruite, elle se hâta de passer l'Inn afin de se rallier à l'armée russe, qui marchait pour la soutenir. Mais la poursuite de nos troupes était si vive que les premiers corps russes qui parurent ne purent non plus résister à leur choc, et ces deux armées réunies ne voyant de salut que dans une prompte retraite, continuèrent leur marche rétrograde sur Vienne.

Le corps d'armée du maréchal Mortier, composé des divisions Gazan, Dupont et Dumonceau, reçut l'ordre de passer le Danube à Linz, et de descendre ce fleuve en le côtoyant par la rive gauche. Le but de cette manœuvre était de s'emparer du pont de Krems, par lequel l'ennemi pouvait communiquer d'une rive à l'autre, ou s'il était trop tard pour l'empêcher de déboucher sur la rive gauche, de l'attaquer dans son passage, et de le retarder, afin que Napoléon, qui avec le reste de l'armée était aux portes de Vienne, pût le couper dans sa retraite sur la Moravie, où paraissait être le rendez-vous des deux armées.

Cette route, par la rive gauche, est des plus difficiles, à peine frayée, et dans plusieurs endroits impraticable pour l'artillerie. Le maréchal Mortier plaça la sienne dans des bateaux qui devaient descendre le Danube à hauteur du corps d'armée, et ne garda que trois pièces, commandées par le lieutenant Fabvier[2], qu'il plaça à la division Gazan, marchant en tête de colonne; les deux autres divisions suivaient à deux et trois lieues d'intervalle.

La division Gazan[3], composée du 4e léger, des 100e et 103e de ligne, était forte de quatre mille hommes: le 4e de dragons éclairait sa marche, et le maréchal Mortier marchait avec elle. Le 10 novembre, elle partit de Spitz (Note : le 10 et non le 11, et non Stein, mais Spitz, nous corrigeons), se dirigeant sur Krems, espérant y prévenir l'ennemi. Mais à sept heures du matin,elle aperçut la fumée du pont, où il venait de mettre le feu ayant déjà effectué son passage. A la sortie de la petite ville de Dürnstein elle trouva les tirailleurs ennemis. On supposa d'abord que c'était seulement une arrière-garde, mais tout le premier corps russe, aux ordres du général Koutousov, fort de vingt cinq mille hommes, était là en position, ayant voulu couvrir la retraite de ses équipages et de son artillerie, qui n'avaient pas encore entièrement évacué Krems.

Le terrain, fort étroit sur la rive gauche, s'élargit après avoir dépassé Dürnstein, petite ville située sur le contrefort d'une haute montagne dont le Danube baigne le pied, et qui s'étend jusqu'à Krems. Un peu plus loin, sur un large piton tenant à montagne, se trouve le château de Laurencis, où fut retenu prisonnier Richard Cœur-de-Lion; près de Krems, et formé par le contrefort de la montagne, est un plateau large et uni à son sommet, très escarpé du côté de Dürnstein; à droite, sont deux villages près du fleuve; le premier se nomme Impach, et le second, plus rapproché de Krems, Leoben.

Dès que l'ennemi fut aperçu, le 4e léger l'attaqua. Il poussa ses tirailleurs hors du défilé de Dürnstein, aborda le corps de bataille, et enleva d'assaut le château de Laurencis. Dans le même temps le 100e attaquait le village d'Impach, soutenu par les trois pièces d'artillerie que commandait le lieutenant Fabvier. En arrivant au plateau, l'affaire devint très chaude ; l'ennemi y avait beaucoup de monde, ainsi qu'à Impach; on se mêlait à chaque instant, et la terrible baïonnette était souvent teinte de sang. Notre artillerie, surtout, faisait un ravage affreux. Placée vis-à-vis la principale entrée, elle écrasait les colonnes qui se présentaient sans cesse pour en sortir; le carnage, sur ce point, fut si horrible qu'après le combat on compta cinq cents cadavres dans un rayon de trente pas. Cependant, malgré la vive résistance de l'ennemi, le 100e gravit le plateau, tandis qu'un bataillon du 103e y pénétrait par le chemin frayé. Les Russes, impétueusement chargés, ne purent soutenir le choc, et se replièrent presque sans combattre jusqu'à une chapelle auprès de Krems. Le 4e régiment de dragons les chargea dans leur retraite, les traversa, et accula au Danube un corps d'infanterie qu'il avait coupé. Ce corps fusillant encore vivement, on fit approcher les trois pièces d'artillerie qui le mitraillèrent quelque temps. Beaucoup furent tués; un grand nombre se jeta dans le fleuve et se noya ; six cents hommes mirent bas les armes.

A une heure après midi nous avions enlevé tout le terrain entre Dürnstein et Krems, pris quatre drapeaux, six pièces de canon, et fait essuyer aux Russes une perte de près de quatre mille hommes. Le maréchal Mortier voyant alors qu'il avait devant lui tout le corps de Koutousov, voulut attendre la division Dupont pour attaquer de nouveau cette armée, déjà si maltraitée, et qui désormais ne paraissait plus songer qu'à la retraite.

Cependant l'ennemi, qui venait de s'apercevoir de la faiblesse numérique du corps qui l'avait battu, voulut prendre sa revanche. Par le conseil du général autrichien Smith, chef d'état-major de Koutousov, huit mille hommes en deux colonnes furent destinés, à couper notre communication. Un peu en arrière de Dürnstein est une vallée étroite, âpre, couverte de rochers; un chemin et un ruisseau tortueux en occupent tout le fond. Ce fut par cette vallée que la première colonne russe arriva à Dürnstein à l'entrée de la nuit. Quelques blessés restés dans cette ville accoururent en prévenir le maréchal[4]. Dans ce moment l'ennemi, qui jusque là s'était tenu tranquille près de Krems, prit l'offensive, nous attaqua de front, et chercha à déborder notre flanc gauche. La division Gazan se replia sur le plateau enlevé le matin, et l'on aperçut alors des lignes d'infanterie qui, sorties de Dürnstein, marchaient à nous. Entourés de tous côtés, il n'y avait pas un instant à perdre pour s'ouvrir un passage. Lorsque le maréchal prenait ses dispositions pour l'exécuter, une voix fit entendre le mot de capitulation. Un cri simultané, unanime, fit justice de cet acte de faiblesse d'un seul. « Nous rendre ? répétaient avec indignation officiers et soldats, Une division française mettre bas les armes ! JAMAIS ! N'avons-nous pas nos baïonnettes ? Tant qu'elles nous resteront, nous ne serons point prisonniers. Marchons! marchons! A la baïonnette! A la baïonnette ! » s'écriait-on de toutes parts, avec enthousiasme. Le maréchal place ses troupes en colonne, et ordonne de mettre les grenadiers à la tête; mais une compagnie, de fusiliers, qui déjà s'y trouvait, ayant la conscience de son propre courage, s'y refusa ; jurant qu'elle ne souffrirait personne devant elle : « Nous sommes ici tous grenadiers par le cœur, disaient ces braves soldats, puisque nous sommes tous Français. » Une si noble insubordination ne pouvait être blâmée, et la colonne s'ébranla aussitôt.  La nuit la favorisait ; elle se dirigea sur Dürnstein en silence, ne combattant qu'à coups de baïonnette. Les braves qui tombaient blessés, et sur lesquels on passait forcément, retenaient leurs gémissements pour ne pas trahir la marche de leurs camarades plus heureux. Les horribles cris que poussaient les Russes les empêchaient eux-mêmes d'entendre le mouvement de nos troupes, et ils fusillaient de tous côtés, sans trop savoir où elles étaient. Enfin, à dix heures du soir, l'intrépide colonne parvint à la porte de Dürnstein, que les Russes ne tentèrent même pas de défendre, traversa cette ville, et arriva sans combattre davantage à la vallée par où l'ennemi l'avait tournée. Surprise de n'avoir pas trouvé plus d'obstacles, elle apprit alors qu'elle devait son salut à deux régiments de la division du général Dupont.

Lorsque la première colonne russe avait débouché derrière Dürnstein, des blessés de la division Gazan, pour lui échapper, s'étaient hâtés de joindre les divisions du corps d'armée, qui suivaient à quelques distances la première division. Les premières troupes qu'ils rencontrèrent furent les 9e léger et 32e de ligne qui, ignorant ce qui se passait devant eux, avaient déjà pris position, et établissaient leurs bivouacs. Ces deux régiments partirent en toute hâte, et arrivèrent à la vallée au moment où la deuxième colonne russe en débouchait. Le combat fut des plus vifs. L'ennemi, rejeté dans la vallée, y fut contenu. Les deux régiments français, n'ayant pas eu d'autres renseignements sur la première colonne, qui déjà avait filé sur Dürnstein, crurent avoir repoussé la seule qui eût voulu tourner la division Gazan; ne s'inquiétant point davantage du combat qui se livrait de l'autre côté de Dürnstein, ils se contentèrent de tenir en échec les troupes qu'ils avaient devant eux.

Pendant ce temps, la première colonne russe ayant eu connaissance de ce qui se passait derrière elle, craignit d'essuyer le même sort qu'elle préparait à son ennemi. Ne soutenant que faiblement de front le combat pour retarder la division Gazan sur le chemin de Dürnstein, elle se jeta à gauche, dans le dessein d'assurer, au besoin, sa retraite vers Krems, et n'attaqua vigoureusement que par le flanc.

Ainsi n'eut aucun résultat satisfaisant cette manœuvre, que le général Smith avait habilement conçue. Elle eût pu cependant obtenir un plein succès malgré la non coopération de la seconde colonne, si vers Krems l'attaque avait été plus vive, et surtout si la première colonne, aussi nombreuse que la division française entière, eût montré plus de résolution. Le lendemain, l'armée ennemie évacua la ville de Krems, et quittant les bords du Danube, elle continua sa retraite vers la Moravie, suivie par le corps du maréchal Mortier.

Dans cette journée, véritablement de massacre, comme l'appela le bulletin officiel, la perte des Russes fut évaluée à plus de quatre mille hommes prisonniers, blessés ou tués, le général Smith et deux autres généraux furent tués. De notre côté, nous perdîmes de dix-huit cents à deux mille hommes. Le général Campana y fut blessé, ainsi que presque tous les officiers supérieurs de la division. Le général Graindorge[5] et le colonel Vathier[6], commandant le 4e de dragons, s'étant trouvés coupés de la colonne en marche sur Dürnstein, gagnèrent le Danube avec quelques soldats, se jetèrent dans un bateau qu'ils trouvèrent au bord du fleuve, et s'abandonnèrent au courant. Mais les débris du pont de Krems les arrêtèrent, et ils furent pris par l'ennemi, qui occupait encore cette ville. En mémoire d'un si glorieux fait d'armes, la ville de Cateau-Cambresis vota un buste au maréchal Mortier, avec cette inscription: « Les habitants du Cateau au vainqueur de Dürnstein, leur illustre compatriote, le brave maréchal d'empire Mortier, faisant ployer l'armée russe et la barbarie du nord devant quatre mille Français. » Mais le maréchal, par une généreuse modestie, refusa ce témoignage de reconnaissance, et reporta tout le mérite de cette brillante action sur les valeureuses troupes qu'il commandait.  


[1] Aussi appelé Dürrenstein ou Diernstein.

 

[2]  En 1820 colonel en non activité; le même qui, le premier, a osé signaler à l'indignation publique les atrocités dont Lyon fut le théâtre en 1816 et 1817, et qui, par cet acte honorable d'un courageux patriotisme, s'est attiré l'implacable haine des fauteurs de réactions et l'estime de toute la saine partie des Français.  

[3] En 1820 lieutenant-général en disponibilité.    

[4] Dans le premier instant, le maréchal ne put croire que les Russes se trouvassent derrière lui; témoignant ses doutes à un chef de bataillon qui, déjà blessé au bras, venait de le lui annoncer, ce brave officier, dont nous regrettons de ne pas connaître le nom, malgré ses souffrances, s'éloigna au galop, tomba sur les premiers tirailleurs ennemis qu'il rencontra, en fit un prisonnier et l'amena au maréchal, dont il dissipa ainsi l'incertitude.   

[5] Tué à la bataille de Buçaco le 27 septembre 1810.  

[6]  En 1820, lieutenant-général en disponibilité.    

Extrait de Éphémérides militaires depuis 1792 jusqu'en 1815, ou Anniversaires de la valeur française. Novembre. par une société de militaires et de gens de lettres, 1820 Pillet aîné (Paris) 1818-1820.
Nous avons modernisé l'orthographe et les noms des lieux, ainsi que quelques autres éléments trop datés de 1820. Nous avons également fait quelques ajouts.

 

 

 

 

Le monument commémoratif de la bataille des 10-11 novembre 1805.

 

 

L'entrée ouest de la ville.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La face française du monument.

La face russe du monument.

 

Panorama à partir du monument, à l'est de Dürnstein (Vue d'est en ouest)

 

Mon article détaillé sur le sujet :

Tradition 15

- Parution ce 21 juillet 2017.
 

Ne ratez pas le numéro 15 (Août 2017) de Traditions, avec mon article consacré au combat de Dürrenstein (11/11/1805).

 

Vous pouvez le commander ici : https://www.lelivrechezvous.fr/nos-revues/traditions/traditions-n-15.html

 

Je vous y servirai de guide pour le récit et une visite complète de ce champ de bataille (13 pages).

 

 

 

 

Saint-Polten, le 22 brumaire an XIV (13 novembre 1805): Vingt-deuxième bulletin de la Grande Armée. 

Le maréchal Davoust a poursuivi ses succès. Tout le corps de Meerfeld est détruit. Ce général s'est sauvé avec une centaine de hulans.
Le général Marmont est à Léoben ; il a fait cent hommes de cavalerie, prisonniers.
Le prince Murat était depuis trois jours à une demi-lieue de Vienne. Toutes les troupes autrichiennes avaient évacué cette ville. La garde nationale y faisait le service ; elle était animée d'un très-bon esprit.
Aujourd'hui, 22 brumaire, les troupes françaises ont fait leur entrée dans cette capitale.
Les Russes se sont refusés à toutes les tentatives que l'on a faites pour les engager à livrer bataille sur les hauteurs, de Saint-Pollen (Saint-Hyppolite). Ils ont passé le Danube à Krems, et aussitôt après leur passage brûle pont, qui était très-beau.
Le 20, à la pointe du jour, le maréchal Mortier, à la tête de six bataillons, s'est porté sur Stein. Il croyait y trouver une arrière-garde ; mais toute l'armée russe y était encore, ses bagages n'ayant pas filé ; alors s'est engagé le combat de Diernstein, à jamais mémorable dans les annales militaires ; Depuis six heures dû matin jusqu'à quatre heures de l'après-midi, ces quatre mille braves tinrent tête à l'armée russe, et mirent en déroute tout ce qui leur fut opposé.
Maîtres du village de Leiben, ils croyaient la journée finie ; mais l'ennemi irrité d'avoir perdu dix drapeaux, six pièces de canon, neuf cents hommes faits prisonniers et deux mille hommes tués, avait fait diriger deux colonnes par des gorges difficiles pour tourner les Français.
Aussitôt que le maréchal Mortier s'aperçut de cette manœuvre, il marcha droit aux troupes qui l'avaient tourné, et se fit jour au travers des lignes de l'ennemi, dans l'instant même où le neuvième régiment d'infanterie légère et le trente-deuxième régiment d'infanterie de ligne, ayant chargé un corps russe, avaient mis ce corps en déroute après lui avoir pris deux drapeaux et quatre cents hommes.
Cette journée a été une journée de massacre. Des monceaux de cadavres couvraient un champ de bataille étroit ; plus de quatre mille Russes ont été tués ou blessés ; treize cents ont été faits prisonniers. Parmi ces derniers se trouvent deux colonels.
De notre côté, la perte a été peu considérable ; le quatrième et le neuvième d'infanterie légère ont le plus souffert. Les colonels du centième et du cent-troisième ont été légèrement blessés ; le colonel Wattier, du quatrième régiment de dragons, a été tué. S. M. l'avait choisi pour un de ses écuyers : c'était un officier d'une grande valeur. Malgré les difficultés du terrain, il était parvenu à faire, contre une colonne russe, une charge très-brillante, mais il fut atteint d'une balle, et trouva la mort dans la mêlée.
Il paraît que les Russes se retirent à grandes journées. L'empereur d'Allemagne, l'impératrice, le ministère et la cour sont à Brünn en Moravie. Tous les grands ont quitté Vienne ; toute la bourgeoisie y est restée. On attend à Brünn l'empereur Alexandre, à son retour de Berlin.
Le général comte de Giulay a fait plusieurs voyages, portant des lettres de l'empereur de France et d'Allemagne. L'empereur d'Allemagne se résoudra sans doute à la paix lorsqu'il aura obtenu l'assentiment de l'empereur de Russie.
En attendant, le mécontentement des peuples est extrême.
On dit à Vienne, et dans toutes les provinces de la monarchie autrichienne, que l'on est mal gouverné ; que, pour le seul intérêt de l'Angleterre, on a été entraîné dans une guerre injuste et désastreuse ; que l'on a inondé l'Allemagne de barbares mille fois plus à craindre que tous les fléaux réunis ; que les finances sont dans le plus grand désordre ; que la fortune publique et les fortunes particulières sont ruinées par l'existence d'un papier-monnaie qui perd cinquante pour cent ; qu'on avait assez de maux à réparer, pour qu'on ne dût pas y ajouter encore tous les malheur de la guerre.
Les Hongrois se plaignent d'un gouvernement illibéral qui ne fait rien pour leur industrie, et se montre constamment jaloux de leurs privilèges, et inquiet de leur esprit national.
En Hongrie, comme en Autriche, à Vienne comme dans les autres villes, on est persuadé que l'empereur Napoléon a voulu la paix ; qu'il est l'ami de toutes les nations, et de toutes les grandes idées.
Les Anglais sont les perpétuels objets des imprécations de tous les sujets de l'empereur d'Allemagne et de la haine la plus universelle. N'est-il pas temps enfin que les princes entendent la voix de leurs peuples, et qu'ils s'arrachent à la fatale influence de l'oligarchie anglaise.
Depuis le passage de l'Inn, la grande armée a fait, dans différentes affaires d'avant-garde, et dans les différentes rencontres qui ont eu lieu, environ dix mille prisonniers.
Si l'armée russe, avait voulu attendre les Français, elle était perdue. Plusieurs corps d'armée la poursuivent vivement.

 

Schoenbrünn, le 23 brumaire an XIV (14 novembre 1805): Vingt-troisième bulletin de la Grande Armée. 

Au combat de Diernstein, où quatre mille Français attaqués dans la journée du 11 par vingt-cinq à trente mille Russes, ont gardé leurs positions, tué à l'ennemi trois à quatre mille hommes, enlevé des drapeaux et fait treize cents prisonniers, les quatrième et neuvième régimens d'infanterie légère et les centième et trente-deuxième regimens d'infanterie de ligne se sont couverts de gloire. Le général Gazan, y a montré beaucoup de valeur et de conduite ; les Russes, le lendemain du combat, ont évacué Krems et quitté le Danube, en nous laissant quinze cents de leurs prisonniers dans le plus absolu dénuement. On a trouvé dans leur ambulance beaucoup d'hommes qui avaient été blessés et qui étaient morts dans la nuit.
L'intention des Russes paraissait être d'attendre des renforts à Krems, et de se maintenir sur le Danube.
Le combat de Diernstein a déconcerté leurs projets ; ils ont vu par ce qu'avaient fait quatre mille Français, ce qui leur arriverait à forces égales.
Le maréchal Mortier s'est mis à leur poursuite, pendant que d'autres corps d'armée passent le Danube sur le pont de Vienne, pour les déborder par la droite ; le corps du maréchal Bernadotte est en marche pour les déborder par la gauche.
Hier 22, à dix heures du matin,, le prince Murat traversa Vienne. A la pointe du jour, une colonne de cavalerie s'est portée sur le pont du Danube et a passé, après différens pourparlers avec des généraux autrichiens. Les artificiers ennemis chargés de brûler le pont, l'essayèrent plusieurs fois, mais ne purent y réussir.
Le maréchal Lannes et le général Bertrand, aides-de-camp de l'empereur, ont passé le pont les premiers.
Les troupes ne se sont point arrêtées dans Vienne, et ont continué leur marche pour suivre leur direction.
Le prince Murat a établi son quartier-général dans la maison du duc Albert : le duc Albert a fait beaucoup de bien à la ville ; plusieurs quartiers manquaient d'eau, il en a fait venir à ses frais, et a dépensé des sommes notables pour cet objet.
Ci-joint l'état de l'artillerie et des munitions trouvées dans Vienne ; la maison d'Autriche n'a pas d'autre fonderie ni d'autre arsenal que Vienne. Les Autrichiens n'ont pas eu le temps d'évacuer au-delà du cinquième ou du quart de leur artillerie et d'un matériel considérable. Nous avons des munitions pour faire quatre campagnes et renouveler quatre fois nos équipages d'artillerie, si nous les perdions. Nous avons aussi des approvisionnemens de siége pour armer un grand nombre de places.
L'empereur s'est établi au palais de Schoenbrünn. Il s'est rendu aujourd'hui à Vienne, à deux heures du matin ; il a passé le reste de la nuit à visiter les avant-postes sur la rive gauche du Danube, ainsi que les positions, et s'assurer si le service se faisait convenablement. Il était rentré à Schoenbrünn à la petite pointe du jour.
Le temps est devenu très-beau ; la journée est une des plus belles de l'hiver, quoique froide. Le commerce et toutes les transactions vont à Vienne comme à l'ordinaire ; les habitans sont pleins de confiance et très-tranquilles chez eux. La population de cette ville est de deux cent-cinquante mille âmes. On ne l'estime pas diminuée de dix mille personnes par l'absence de la cour et des grands seigneurs.
L'empereur a reçu à midi M. de Wrbna, qui se trouve à la tête de l'administration de toute l'Autriche.
Le corps d'armée du maréchal Soult a traversé Vienne aujourd'hui, à neuf heures du matin. Celui du maréchal Davoust la traverse en ce moment.
Le général Marmont a eu à Léoben différens petits avantages d'avant-postes.
L'armée bavaroise reçoit tous les jours un grand accroissement.
L'empereur vient de faire à l'électeur de nouveaux présens ; il lui a donné quinze mille fusils pris dans l'arsenal de Vienne, et lui a fait rendre toute l'artillerie que, dans différentes circonstances, l'Autriche avait pris dans les états de Bavière.
La ville de Kuffstein a capitulé entre les mains du colonel Pompeï.
Le général Milhaud a poussé l'ennemi sur la route de Brünn jusqu'à Volkersdorff. Aujourd'hui, à midi, il avait fait six cents prisonniers et pris un parc de quarante pièces de canon attelées.
Le maréchal Lannes est arrivé à deux heures après midi à Stokerau ; il y a trouvé un magasin immense d'habillemens, huit mille paires de souliers et de bottines, et du drap pour faire des capottes à toute l'armée.
On a aussi arrêté sur le Danube plusieurs bateaux qui descendaient ce fleuve, et qui étaient chargés d'artillerie, de cuir et d'effets d'habillemens.
(Suit le relevé de l'inventaire général des bouches à feu et armes existantes en ce moment à Vienne, au grand arsenal.)
 

 

 

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