JEAN Joseph Triaire

 

Le Mazel (Notre-Dame de LA ROUVIERE) (GARD) 1764 – 1850 PARIS

     BARON DE L'EMPIRE - GENERAL DE BRIGADE

Ecartelé :
au 1er, d'or au cheval alezan libre au naturel ;
au 2e, des barons militaires ;
au 3e, d'argent au pont d'une arche de sable, soutenu de sinople ;
au 4e, échiqueté d'or et d'azur

 

 

Un Cévenol général baron de l’Empire : Jean Joseph Triaire

par Jacques Banastier

Le Mazel, petit hameau au pied du mont Aigoual en Cévennes, possède une seule ruelle, baptisée « rue général Triaire ». L’homme est tombé dans l’oubli. Il a pourtant été un grand soldat, et mérite que sa mémoire soit mieux conservée. Les éléments de biographie ci-après, bien que tracés à grandes lignes, prétendent participer à la préservation de cet élément du patrimoine culturel local.

 

1 – Enfance et adolescence.

 François Triaire est originaire de La Coste, hameau de la paroisse de Saint-André de Majencoules, dans les Cévennes gardoises, où sa famille réside depuis plusieurs générations.

François Triaire quitte le giron familial pour épouser Anne Ramon, résidant au hameau du Mazel, paroisse de Notre Dame de la Rouvière, à une moitié de lieue de La Coste. Le couple se marie le 10 avril 1742. François mène au Mazel, jusqu’à la fin de ses jours, une existence aisée de petit bourgeois local, vivant du négoce de produits locaux.

Huit enfants naissent de cette union. Jean Joseph, futur général baron de l’Empire, est le benjamin. Il voit le jour au Mazel le 19 mars 1764. Lui aussi perçoit sa « légitime » lorsque son père dispose de ses biens devant notaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La maison natale de Jean Joseph Triaire au Mazel.
La plaque commémorative y a été apposée le 17 juillet 2010.

 

2 – L’engagement.

 Octobre 1783 : quelques couleurs éclatantes renforcent les magnifiques teintes de l’automne cévenol : ce sont celles de l’uniforme rutilant du capitaine François Henri d’Elbée de la Sablonière, officier au régiment des chasseurs de Bretagne, qui mène une opération de recrutement en Cévennes. Son unité, venant de l’est de la France, est alors basée à Carcassonne.

Le 28 octobre 1783, Jean Joseph Triaire signe son engagement, pour une durée de huit ans. Quelles peuvent être les raisons de cette décision ? Nous l’ignorons : coup de tête ? conflit familial ?  dépit amoureux ? insatisfaction liée au statut de benjamin ? influence de la mémoire d’un grand-oncle : feu Henri de Mourgues, de petite noblesse. Henri de Mourgue Delmas a été lieutenant de cavalerie dans le régiment de Beauvillers, décoré de l’ordre de Saint-Louis, avant de finir ses jours à La Coste, où il meurt le 3 juin 1761, peu avant la naissance de Jean Joseph. L’image enjolivée du défunt a certainement été au cœur de nombreuses conversations familiales.

Jean Joseph quitte Le Mazel pour Carcassonne, en compagnie de sept autres jeunes cévenols. Il est affecté à la compagnie de chasseurs à cheval du chevalier de Comeiras.

Le registre de contrôle du régiment le décrit : « taille de 5 pieds 3 pouces 2 lignes (soit 1,71 mètre), cheveux et sourcils châtain, les yeux gris, visage rond, bouche petite, nez mince, menton fourchu ».

Jean Joseph va passer vingt-deux années sous l’uniforme vert orné du cor des chasseurs à cheval, dont dix-sept dans son régiment d’origine, qui devient en 1791 le 10e régiment de chasseurs à cheval, après s’être dénommé 4e régiment des Cévennes et 10e régiment de Bretagne.

Bien qu’il sache lire et écrire, le nouveau cavalier ne bénéficie d’aucune promotion (dans les grades de « bas-officier », les positions d’officier étant réservés en règle générale à la noblesse) au cours de ce premier engagement. Nous sommes à nouveau réduits à des hypothèses : absence de conflit armé pendant la période, d’où une faible occurrence d’emplois  à pourvoir ? indiscipline ? refus d’initiation à la loge maçonnique Saint-Louis de l’Union, qui vit au sein du régiment (d’Elbée, qui deviendra colonel du régiment, et de Comeiras en sont membres, ainsi que nombre d’autres officiers du futur 10e chasseurs). Dans un tel environnement, l’initiation favorise la promotion.  

 

3 – Les guerres de la Révolution, du Directoire et du Consulat.

 Le 29 octobre 1791, Jean Joseph Triaire renouvelle son engagement. Bien des événements extraordinaires se sont produits depuis qu’il a endossé l’uniforme ! Aujourd’hui, l’Europe résonne de bruits de bottes, les royautés environnantes se sentant menacées par la Révolution française, qui ne va pas tarder à abolir la  monarchie.

La patrie est déclarée en danger en juillet 1792, la France entre en guerre contre l’Autriche.

Triaire va connaître la « désintégration » de l’armée, liée aux grands bouleversements politiques de l’époque. Le soldat est nu …

Dans cet environnement, Jean Joseph et son régiment vont combattre au sein des diverses armées de la Révolution, sur plusieurs fronts : armées du Centre, du Nord, du Rhin, de la Moselle, qui luttent pour l’essentiel dans le Palatinat. Triaire y reçoit ses premières blessures : à Rilsheim près de Wissembourg le 17 mai 1793, à Gemersheim et à Clasteraubach en juillet 1794. Les blessures sont sans grande gravité, ce qui est une chance compte tenu de la qualité du service de santé aux armées.

Triaire gagne rapidement ses premiers galons : brigadier le 26 mars 1792, maréchal des logis chef le 16 mai 1796 (sans passer par le grade de maréchal des logis), adjudant sous-lieutenant six mois plus tard, le 2 octobre.

C’est ensuite la fulgurante première campagne d’Italie, menée par Bonaparte, au cours de laquelle le 10e chasseurs se couvre de gloire sous les ordres de colonels prestigieux : Leclerc d’Ostein puis Ordener.

Le régiment participe notamment aux combats de Lodi, Lonato, Arcole, au siège de Mantoue, et termine la campagne dans le Tyrol, sur la route de Vienne. A Bellune, le comportement de notre Cévenol est cité dans un rapport de son colonel : « les citoyens Triaire, adjudant sous-lieutenant, et Rioux, capitaine, se sont particulièrement distingués, le premier chargeant et sabrant avec rage a eu son sabre [un mot manque dans le texte : « brisé » ?] et a été légèrement blessé; le second, ayant atteint le commandant des hussards autrichiens, l'a tué après l'avoir sommé en vain de se rendre ».

Triaire est à nouveau blessé à Borghetto, le 30 mai 1796, à Castiglione, le 5 août, à Bellune le 13 mars 1797, enfin à Tarvis (Tyrol) le 24 mars.

La paix de Campo-Formio met provisoirement fin aux hostilités.

Celles-ci reprennent en 1799. Au début de cette année, Jean Joseph Triaire accède à l’épaulette : il est nommé sous-lieutenant le 1er janvier 1799. Il retourne au combat avec son régiment, successivement affecté à plusieurs armées : Mayence et Danube (nouveaux engagements dans le Palatinat), Helvétie (campagne de Suisse) et Rhin (campagne de Souabe).

Le 23 mai 1799, Triaire accède au grade de lieutenant. 

Le sang cévenol coule à nouveau : Triaire reçoit de nouvelles blessures à Stockach (Allemagne) le 25 mai 1799, à Naefels (Suisse) le 1er octobre, enfin à Landshut (Bavière), le 7 juillet 1800, où un excès de « furia francese » isole le chasseur cévenol au sein de plusieurs ennemis : il reçoit quatre coups de sabre, dont un sur la tête. Il tombe de cheval, est fait prisonnier.

Sa conduite exemplaire lui vaut d’être nommé capitaine pendant sa captivité (le 26 octobre 1800) et d’être affecté à sa libération, après le traité de paix de Lunéville du 26 janvier 1801, à un corps prestigieux. Ordener a apprécié à leur juste valeur les qualités de son subordonné, et veille à ce que ses mérites soient récompensés.

 

4 - Premier honneurs.

Au-delà de sa rapide évolution de carrière dans les divers grades, Jean Joseph Triaire va connaître de nombreux honneurs, et non des moindres.

 4-1 – La Garde consulaire.

Le 16 septembre 1800, le Premier Consul confie le commandement de la cavalerie de la Garde consulaire à Michel Ordener, soldat exceptionnel. Bonaparte, en fait, supervise personnellement le recrutement de chacun des membres de ce corps d’élite, qu’il vient de créer, et qui deviendra dans peu d’années la Garde impériale. Au-delà de la valeur de combattant, un critère majeur de recrutement réside dans les qualités morales (droiture, honnêteté, loyauté, fidélité) des postulants.

Ordener nomme Jean Joseph Triaire à la tête d’une compagnie de chasseurs à cheval de cette Garde. Triaire occupe ce poste prestigieux à son retour de captivité, en conservant son grade, alors que beaucoup d’officiers acceptent d’être rétrogradés afin de pouvoir intégrer ce corps très convoité.

Plus tard, la Garde se structurant, Ordener prendra le commandement des grenadiers à cheval, et Eugène de Beauharnais celui des chasseurs. Nous verrons que ceci aura des conséquences majeures sur le destin de Triaire.

Voici notre Cévenol parcourant les rues de Paris vêtu du magnifique uniforme de la Garde, la bourse pleine de la haute paie attribuée à cette troupe, qui est traitée par le Premier Consul avec un soin particulier, ce qui lui vaut bien des jalousies de la part des autres corps.

 Triaire sert dans cette unité jusqu’au 22 décembre 1803, date à laquelle il est promu au grade de major au sein de l’état-major du 3e régiment de chasseurs à cheval, basé à Parme.

4-2 – Un sabre d’honneur.

« C’est avec des hochets que l’on mène les hommes », déclare Bonaparte, qui s’inscrit ainsi en faux contre le principe égalitaire de la Révolution. Le premier véritable système de méritocratie instauré par le Premier Consul est celui des « armes d’honneur » : sabres, pistolets, fusils, mousquetons, haches, grenades, trompettes, baguettes pour les tambours … Un cornet acoustique d’honneur a même été décerné à un capitaine rendu sourd par l’explosion d’une mine lors du siège de Saint-Jean d‘Acre !

Jean Joseph Triaire reçoit un sabre d’honneur le 20 octobre 1802.

 

4-3 – La Légion d’honneur.

La Légion d’honneur se substitue aux armes d’honneur dès sa création, le 19 mai 1802. Tous les récipiendaires d’une arme d’honneur sont nommés membres de la Légion d’honneur.

Triaire est ainsi fait chevalier de ce nouvel Ordre, le 27 septembre 1803. Il fait partie de la première promotion de légionnaires.    

Il va cependant recevoir une distinction plus conséquente : il est nommé officier de la Légion d’honneur peu après, le 14 juin 1804.

Ayant rejoint son régiment à Parme, il ne participera pas aux grandes cérémonies de remise des premières croix, aux Invalides en juillet 1804 ou au camp de Boulogne le mois suivant.

 

4-4 – Un notable gardois.

Triaire est également nommé membre (parmi les « notables absents pour cause de service public ») du Conseil électoral de l’arrondissement du Vigan, auquel appartient sa commune natale, Notre Dame de la Rouvière. Les Conseils d’arrondissement, de département puis national participent à la désignation des membres des institutions gouvernementales du Consulat : Sénat conservateur, Tribunat, Corps législatif et Conseil d’Etat.

Bonaparte, qui conserve la décision de nomination en dernier ressort, assied son pouvoir sur un édifice cohérent constitué de fidèles serviteurs du régime.

 

5 – L’aide de camp de vice-roi d’Italie.

Un décret du 17 mars 1805 officialise la nomination de Napoléon Ier comme roi d’Italie. L’Empereur confie la gestion du royaume à son fils adoptif, Eugène de Beauharnais, nommé vice-roi.

Eugène s’entoure de personnes dont il a pu apprécier les qualités, entre autres Jean Joseph Triaire, qu’il a eu sous ses ordres à la Garde, et qu’il s’adjoint comme aide de camp, le 21 mars 1805.

Triaire va connaître les palais italiens, la vie de cour, évoluant dans la proximité immédiate du vice-roi, de sa famille (la vice-reine, Auguste-Amélie, est une fille du roi de Bavière), des grands dignitaires civils et militaires du royaume, dont la capitale est Milan.

 

6 – Jean Joseph Triaire colonel.

 

Jean Joseph vit des années de paix sous le ciel italien. Quelques troupes du royaume renforcent la Grande Armée, mais le royaume d’Italie n’est pas mobilisé aux côtés de l’Empereur au cours des opérations qui se déroulent à partir de 1805. Ceci au grand dam du vice-roi, qui se sent un âme de soldat plutôt que de gestionnaire, et qui suit de loin le vol glorieux de l’Aigle, à Ulm, Austerlitz, Iéna, Eylau, Friedland.

            Un décret impérial du 20 novembre 1807 nomme Triaire colonel.

Le vice-roi obtient de Napoléon que son aide de camp ne soit pas affecté au commandement opérationnel d’un régiment, comme le veut la règle générale, mais qu’il conserve ses fonctions actuelles : Triaire est maître-commandant des écuries royales. Le prince Eugène écrit à Clarke, ministre de la Guerre, « ce colonel remplit en ce moment la place d’Ecuyer commandant des Ecuries royales d’Italie, ce service est parfaitement bien dans ses mains, et  je serais infiniment embarrassé pour le remplacer s’il venait à être rappelé à un régiment. Le bien du service des Ecuries de l’Empereur comme Roi d’Italie me fait en conséquence désirer que le colonel Triaire, en continuant d’être mon aide de camp, conserve ses fonctions ». L’Empereur approuve.

Triaire écuyer supervise notamment l’activité d’un artiste vétérinaire des Ecuries royales, Jean Baptiste Zacharie Landoire, dont nous aurons à reparler …

 

7 – La guerre, à nouveau

 

          L’Autriche, humiliée à Austerlitz, a reconstitué ses forces armées. La guerre débute le 10 avril 1810, date à laquelle l’Autriche envahit le royaume d’Italie. Triaire enfile ses bottes, prend son sabre et sa lime, et s’en va-t-en guerre …

Le début des opérations est défavorable au vice-roi, battu à Sacile le 16 avril. Les foudres impériales s‘abattent sur le vaincu. Mais Eugène redresse la situation, assisté de Macdonald, et va remporter succès sur succès : sur la rivière Piave, le 8 mai, à Tarvis le 18, à Saint-Michel, le 25, à Papa le 12 juin et surtout à Raab, en Hongrie, le 14.

Le 2 mai, à Ponte d’Olmo, sur la Piave, Triaire trompe la mort : il reçoit une balle sur un bouton de poitrine qui ne lui laisse qu’une légère contusion. Il comptabilise une quinzième blessure, encore une fois sans gravité excessive, au combat du 8 mai.

Le colonel Triaire s’illustre au combat de Saint-Michel, le 25 mai : prenant la tête du 6e régiment de chasseurs à cheval en attente d’un nouveau colonel, il mène une charge dévastatrice, mettant en fuite un corps d’armée autrichien, capturant plusieurs bataillons.

La victoire de Raab, où Triaire reçoit une nouvelle blessure, empêche la jonction des armées autrichiennes des princes Jean et Charles, et contribue ainsi au difficile succès de Wagram, sous les murs de Vienne, les 5 et 6 juillet 1809. L’armée d’Italie participe à cette victoire, sous les yeux de l’Empereur. Triaire y était …

 

8 – Nouveaux honneurs, anoblissement.

Les exploits guerriers de Jean Joseph au cours de cette campagne lui valent de nouvelles récompenses : il reçoit la Couronne de fer, plus haute distinction du royaume d’Italie, après l’affaire de Saint-Michel, puis est promu commandeur dans l’ordre de la Légion d’honneur, le 27 juillet 1809.

Au lendemain de Wagram, d’autres récompenses pleuvent : depuis le château de Schönbrunn, le 15 août, Napoléon distribue les titres de noblesse impériale aux principaux acteurs de ses succès. Le colonel Triaire est l’un d’eux : il est nommé baron de l’empire

Il se voit ainsi décerner une dotation lui assurant un revenu annuel de 4 000 francs basé sur les impositions du baillage de Rottenburg, localité proche de Hanovre.

Le baron se dote d’armoiries. Son blason se définit ainsi : « Ecartelé : au 1er, d'or au cheval alezan libre au naturel; au 2e, des barons militaires; au 3e, d'argent au pont d'une arche de sable, soutenu de sinople; au 4e, échiqueté d'or et d'azur ».

Le vice-roi et son entourage rejoignent Milan le 14 novembre 1809. Ils vont y vivre deux nouvelles années de paix.

 

9 – Les étoiles de général, en route vers Moscou.

 

Après l’Autriche, c’est la Russie, écrasée à Friedland le 14 juin 1807, qui provoque Napoléon, en particulier en ne respectant pas le blocus continental, qui gêne son économie.

L’Empereur constitue une immense armée (plus de 600 000 hommes, dont 450 000 envahiront le sol russe), et déclenche les hostilités en franchissant le Niémen le 23 juin 1812.

A Saint-Cloud, avant de prendre le chemin de Moscou, l’Empereur approuve la nomination au grade de général de brigade de Jean Joseph Triaire. Le décret est daté du 2 mai 1812, le récipiendaire est informé de sa promotion le 19 juin, à Lützen en Saxe, sur la route qui le conduit vers la tragédie.

Eugène de Beauharnais commande le 4e corps, constitué par l’armée d’Italie. Triaire marche à ses côtés. Il vit dès l’itinéraire aller, avant même de pénétrer sur le sol russe, les déboires que rencontre la trop grande machine de guerre : chaleur étouffante, manque d’eau (et dysenterie due à la mauvaise qualité des liquides ingérés), disette, chevaux mourant par milliers faute de nourriture. Maraude et désorganisation s’installent très vite.

Un coup de main mené par Triaire lui vaut d’être cité au Bulletin de la Grande Armée du 18 août 1812 : le 31 juillet, à la tête d’un détachement de la Garde royale italienne, il s’empare de deux cents voitures chargées de farine. Prise très appréciable lorsque le pain fait cruellement défaut !

Après avoir traversé le Niémen le 29 juin, le 4e corps participe à divers combats qui émaillent la marche vers la ville sainte. Il s’illustre au combat d’Ostrovno, le 25 juillet, puis participe à Borodino à la terrible bataille de la Moskowa, ou « bataille des redoutes », le 7 septembre. Le général Triaire y reçoit sa dix-septième et dernière blessure : un coup de lance.

La sanglante victoire ouvre la route de Moscou, où le 4e corps parvient le 15 septembre. Triaire assiste à l’incendie de la ville, aux scènes de pillage.

 

10 – « Il neigeait … »

Le vice-roi et son armée quittent Moscou le 18 octobre, empruntant la route du sud choisie par Napoléon. La sanglante bataille de Malojaroslavetz, le 24 octobre incite celui-ci à reprendre l’itinéraire utilisé à l’aller. Triaire va y vivre les incommensurables souffrances endurées par la Grande Armée. Son grade et sa position auprès du vice-roi l’en protègent partiellement.

Le 4e corps perd 90 % de son effectif au cours de la retraite, comme le reste de l’armée. La faim et le froid font bien plus de victimes que les cosaques qui harcellent les colonnes.

Le 16 novembre, Triaire à la tête de la division du général Pino blessé sauve les débris du 4e corps de l’anéantissement. Plusieurs témoignages relatent la façon dont le vice-roi échappe à l’encerclement : « La quinzième division qui, restée en arrière-garde sous le commandement du général Triaire, devait attendre pour se mettre en marche que le vice-roi eût effectué sa manœuvre sut par sa contenance ferme imposer à des nuées de cosaques dont les hourras [charges] réitérés menaçaient à la fois ses flancs et ses derrières. Le général Traire s'arrêta plusieurs fois pour combattre; mais il fut assez heureux pour n'être pas entamé et pour ramener cette petite troupe devant Krasnoé, où le vice-roi venait de faire sa jonction avec le gros de l'armée » .

Triaire traverse la Bérésina le 27 novembre à 20 heures, à la suite de son chef. 

Le Niémen est enfin atteint le 15 décembre, les survivants entrent sur le sol polonais, poursuivis sans relâche par les cosaques. En 1813, les combats se déplacent en Prusse puis en Saxe, en fonction de l’itinéraire de la retraite vers la France. Triaire participe au début de la campagne de Saxe, combat le 2 mai à Lützen où les vestiges de la Grande Armée sont rejoints par de nouvelles troupes venant de France et d’Italie. Napoléon continue la campagne de Saxe (qui sera suivie de la campagne de France), Eugène et ce qui reste de son 4e corps rejoignent l’Italie.

 

11 – La fin du royaume d’Italie.

Le vice-roi atteint Milan le 18 mai 1813. C’est pour y poursuivre la lutte contre les troupes autrichiennes qui ont envahi le royaume. Eugène résiste de son mieux. La tâche est rendue plus ardue par le passage à l’ennemi des royaumes de Bavière (gouverné par le beau-père du vice-roi) puis du royaume de Naples (gouverné par le roi Murat, beau-frère de Napoléon).

Eugène songe également à protéger sa famille, et écrit à plusieurs reprises à Auguste, l’informant qu’il envisage de lui envoyer Triaire afin d’assurer sa sécurité sur les routes vers la France. Beau témoignage de confiance envers le vieux briscard : sa femme et ses enfants sont pour Eugène ce qu’il a de plus cher. 

Le vice-roi, dont l’armée ne parvient plus à résister aux troupes ennemies, dépose les armes le 26 avril. Entre-temps, Napoléon a signé à Fontainebleau sa première abdication, le 4 avril.

 

12 – L’exil en Bavière.

L’article 8 du traité de Fontainebleau stipule qu’un « établissement convenable » doit être attribué au prince Eugène. Cette disposition ne sera pas respectée, les vainqueurs étant trop acharnés à se disputer les restes de l’ancien Empire napoléonien pour en laisser la moindre miette à un vaincu.

Eugène accepte alors l’accueil que lui propose son beau-père Maximilien Ier. Triaire et la plupart des autres membres de l’entourage du prince suivent celui-ci. Le régime politique en place en France n’est guère favorable aux anciens serviteurs de Napoléon.

Eugène, Triaire et les autres Français en exil à Munich vivent depuis la Bavière les Cent-Jours et la fin de l’épopée napoléonienne.

Du 28 octobre 1783 au 15 octobre 1815, date de sa mise à la retraite, Triaire totalise 31 années, 10 mois et 3 jours de service. Il est en demi-solde depuis 1814. Sa retraite est fixée par le gouvernement français à 4 000 francs, mais ne lui est pas versée au motif qu’il réside à l’étranger ce qui, selon le Code civil, lui fait perdre la nationalité française. Le combat que mène le général, la plume à la main au lieu du sabre, reste infructueux.

Le prince Eugène est nommé duc de Leuchtenberg et prince d’Eichstätt. Ses aides de camp sont nommés chambellans. Triaire se retrouve ainsi premier maître d’hôtel de la cour princière. Il renoue avec la vie de château, dans son exil doré. Ses services lui valent de se voir décerner la médaille de l’ordre du Mérite civil de Bavière, le 12 septembre 1817.

Il reste en Bavière après le décès d’Eugène de Beauharnais, survenu le 21 février 1824.

A l’occasion du mariage des enfants du duc de Leuchtenberg, il est décoré de l’ordre de l’Epée de Suède (décembre 1822) et de l’ordre impérial de la Croix du Brésil (septembre 1829).

 

13 – Un bourgeois de Paris.

La Révolution de juillet permet à Jean Joseph Triaire d’envisager un retour en France. Celui-ci a lieu en août 1832. Le général baron s’installe chez son neveu Aimé-Joseph, employé au ministère de l’Intérieur. Triaire habite ensuite dans la quartier huppé de la Chaussée d’Antin, 36 rue Taitbout.

Il fait à nouveau le siège des bureaux du ministère de la Guerre, afin d’obtenir le paiement de sa pension de retraite, arriérés inclus. Peine perdue : son affaire est traitée au plus haut niveau, en Conseil d’Etat, qui décide que le paiement ne sera effectué qu’à partir du retour de Triaire en France, à compter du 1er juillet 1832. Aucun recours n’est possible. Le vieux soldat s’incline.

Vieux soldat ? Le 2 septembre 1835, âgé de 71 ans, Jean Joseph convole en justes noces avec une « jeunesse » de 41 ans, Accacia Modeste Aublet de Saint-Edme, veuve Landoire. Le premier mari d’Accacia est Jean Baptiste Zacharie Landoire, l’artiste vétérinaire des Ecuries royales du royaume d’Italie que nous avons précédemment évoqué. Landoire est mort à Paris le 4 avril 1834.

Le mariage religieux est célébré en l’église Saint Nicolas des Champs. Deux grands soldats servent de témoins à Triaire : les généraux de division Meynadier (originaire de Saint André de Valborgne) et Guyot (ancien commandant de la cavalerie de la Garde impériale). Accacia est assistée de deux artistes : le graveur Richomme et le peintre Nélaton.

Le couple s’installe dans un appartement cossu au 38 rue Taitbout. Quatre domestiques (cocher, cuisinière, valet et femme de chambre) les servent.

Aucun enfant ne naîtra de cette union tardive.

L’inventaire après décès du général baron décrit avec minutie l’appartement et son contenu, depuis les sous-vêtements jusqu’aux meubles, bijoux, papiers, etc. Cet inventaire met en évidence, entre mille autres facettes de l’environnement domestique du Cévenol, son penchant pour le vin de Bordeaux, et le détail de ses ressources : l’homme est à l’abri du besoin sur le plan financier.

 

14 – La mort, la succession.

C’est au 38 de la rue Taitbout que l’enfant du Mazel termine ses jours. Au préalable, il a assisté avec émotion au retour des cendres de l’Empereur, le 15 décembre 1840, et s’est réjoui de l’avènement de la 2e République, à l’issue de la révolution de 1848.

Il a également disposé de ses biens. Par son testament, en date du 29 novembre 1849, il donne un forte somme d’argent (100 000 francs) à son neveu Aimé Joseph, et une somme moindre (10 000 francs) à ses divers neveux et nièces restés dans les Cévennes. Son épouse hérite du patrimoine, conséquent.

Jean Joseph Triaire décède dans son lit, âgé de 86 ans, le jeudi 11 avril 1850, à onze heures et demi du matin. Il est enterré le 13 au cimetière du Père Lachaise, après une cérémonie funèbre en l’église Saint-Roch. Sa tombe, laissée à l’abandon, a été restaurée en 2005 par l’ACMN (association pour la conservation des monuments napoléoniens) et le Souvenir napoléonien.

Accacia survit à son second mari pendant vingt trois années. Après son veuvage, elle s’installe rue du faubourg Montmartre, où elle meurt le 30 octobre 1873, âgée de 79 ans.

Dans son testament olographe, rédigé le 4 décembre 1871, la baronne veuve Triaire a prévu des dons en faveur du hameau du Mazel : 12 000 francs dont le revenu sera distribué aux familles nécessiteuses, 16 000 francs pour une école où les enfants du hameau seront instruits gratuitement. Elle lègue également 5 000 francs à l’église de Notre Dame de la Rouvière afin que soient dites chaque année vingt quatre messes pour le repos de l’âme du général.

Jean Joseph Triaire n’a pas oublié son hameau natal. En fait, une école y existe déjà depuis le 24 septembre 1866, dont l’enseignement est assuré par deux religieuses. Le legs d’Accacia servira à couvrir les frais de fonctionnement. Ce don est assorti d’un portrait à l’huile du général, « pour être placé dans la salle de l’école du Mazel, afin d’être un exemple de ce que peuvent le travail et l’honnêteté unis à l’intelligence », selon les propres termes de la légatrice.

 

Conclusion

Ainsi s’est déroulée la longue vie riche en événements d’un petit Cévenol, que rien ne prédestinait à un tel destin. L’homme a été un grand soldat, qui a vécu une existence hors du commun.

Désormais, la lecture de la simple plaque apposée dans la ruelle du Mazel pourra évoquer chez nous bien des images, depuis les troupes dépenaillées de 1792 jusqu’aux cours impériale et royales de France, d’Italie et de Bavière, en passant par la splendeur de la Garde et la misère infinie de la retraite de Russie. Du sang, de la fureur, des larmes, de l’or et de la gloire, avant le calme d’une fin d’existence paisible.                   

Toute une vie de misères et de splendeurs, toute une épopée …

Père Lachaise                                                                                                                

56e division

Restauration 2005

Financement principal : Souvenir français

Maîtrise d'œuvre : ACMN - Robert Lecreux

 

Avant restauration :

(Collection Robert Chénier)

Après restauration :

 

 

                                                                                                                                     

 

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