Mikhaïl Andreïevitch Miloradovitch
(12 octobre 1771- 26 décembre 1825)

COMTE
GENERAL D'INFANTERIE

Commandant le corps de la Garde, attaché à la personne de Sa Majesté, Gouverneur militaire de Kiev,
Gouverneur militaire de Saint-Pétersbourg du 31 août 1818 au 15 décembre 1825
Chevalier de tous les ordres Russes ; — -de St-Léopold de 1ère Classe; Commandeur de l'ordre militaire de Marie-Thérèse ;
Grand-croix de l'aigle noir et de l'aigle rouge de Prusse; Chevalier de St-Maximilien de Bavière de 1ère classe ;
de St-Maurice et de St-Lazare de Sardaigne ; de la fidélité de Bade ; Commandeur de St-Jean de Jérusalem ;
décoré de deux épées d'or, dont l'une enrichie de diamants, et portant toutes deux cette inscription : " pour la bravoure au sauveur de Bucarest ".  


 

Né le 12 octobre 1771 d'une famille noble, originaire de Servie, Miloradovitch entra au service en 1780, dans le régiment des gardes d'Ismailowski. Enseigne, en 1786; sous-lieutenant, en 1788; lieutenant, et capitaine en second, en 1790; capitaine en 1796 ; Colonel en 1797 ; général-major et chef du régiment d'Ob-cheron, en 1797 ; Lieutenant-général en 1805 ; il fut élevé, en 1808, au grade de général d'Infanterie.

Miloradovitch, né Russe, ne pouvait manquer d'aimer la Russie d'un amour ardent, ses ancêtres, étrangers à ce pays, lui en avaient donné l'exemple. L'un d'eux, fort de l'estime de ses concitoyens, réunissant plus de 20.000 h. sous son commandement et à sa solde, les fit servir, avec succès, contre les Turcs, pour la cause des Russes. Pour reconnaître ses services, Pierre Ier l'invita à venir s'établir dans ses états, et le gratifia de vastes domaines en petite Russie. Cet exemple de famille alluma de bonne heure une noble émulation dans l'âme de Miloradovitch. Il crut, avec raison, qu'il resterait au-dessous de son modèle, s'il ne le surpassait ; et jura dès lors de faire reconnaître, dans son zèle pour le service de la Russie, tout ce que le sentiment du devoir peut ajouter de force à un penchant naturel, transmis avec le sang.

Il était général-major, et chef du régiment d'Obcherone, lorsque, sous le commandement du Général Rosenberg, il se mit en marche, pour aller faire en Italie, contre les Français, cette glorieuse campagne, qui seule suffirait pour placer Souvorov au rang des plus illustres guerriers de tous les âges. Arrivé à Brunn, en Moravie, Miloradovitch commandant une brigade, reçut de S. M. l'Empereur d'Autriche, pour des manœuvres exécutées en présence de ce Monarque, une boîte ornée de son chiffre. Soudain un mouvement nouveau est imprimé aux armées, et la rapidité de leur marche est le premier signal de l'arrivée de Souvorov. Miloradovitch ne tarde pas à en être connu et distingué.

Les hostilités commencent, et, dès les premières rencontres, il justifie la flatteuse opinion qu'a conçue de lui le plus grand capitaine du siècle. Les avant-postes russes sont sur l'Adda ; mais la débâcle des fleuves entrave les opérations des armées. Toutes les difficultés cèdent à l'intrépide résolution de Miloradovitch. Il passe l'Adige près de Vérone, transportant en bateaux, un bataillon de grenadiers sur les eaux grossies de cette rivière ; à peine sur la rive opposée, il fait monter sa troupe sur des chariots, et la conduit en poste à Souvorov, qui, admirant la prodigieuse rapidité de toute cette opération, s'avance à sa rencontre, et lui dit, en l'abordant : "Je te bénis, toi et ta troupe, dans le chemin de la gloire."

Près du bourg Lecca , le brave Bagration, engagé dans une lutte trop inégale, après avoir en vain opposé toutes les ressources de sa valeur à l'énorme supériorité de l'ennemi, faisant encore les derniers efforts, était déjà contraint de plier ; Miloradovitch vole à son secours, fond sur l'ennemi, lui enlève la victoire, et en cède tout l'honneur au Prince Bagration, prétendant qu'il appartenait tout entier au commandant de l'avant-garde, dont il n'était que l'auxiliaire. Ce sont les termes exprès du rapport officiel, fait à l'Empereur Paul par le Maréchal. Sa Majesté, en décorant Miloradovitch du cordon de Ste-Anne, 1ère classe, récompensa, tout à la fois, et son brillant fait d'armes, et son noble désintéressement. Déjà Miloradovitch avait franchi le Pô, lorsqu'il jugea, à la durée et aux progrès d'un feu de mousqueterie, qu'il entendait sur l'autre rive, qu'elle était le théâtre d'un combat des plus meurtriers.

Il n'est point appelé à en partager les dangers ; mais il ne peut résister au mouvement du zèle qui l'entraîne, et, pour secourir les troupes engagées, il fait repasser à la sienne le Pô, sur des radeaux. Arrivé sur le champ de bataille, il se porte à l'instant sur les points les plus exposés. Il affronte partout la mort ; la mort, à chaque instant, semble prête à le frapper: un tirailleur français le couche en joue ; un officier ennemi le charge l'épée haute ; trois chevaux sont tués sous lui. La Providence, sans doute, veille sur ses jours; il échappe à tant de dangers. C'est dans cette glorieuse journée, qu'apercevant du désordre dans les rangs, pendant la charge, il saisit un drapeau, et se précipita sur l'ennemi, en s'écriant: voyez, soldats, comme votre général sait mourir. Souvorov, jaloux de rendre un éclatant témoignage à la gloire dont Miloradovitch s'était couvert dans cette journée, s'exprima ainsi, dans son ordre du jour aux armées austro-Russes : " Les Russes se sont battus comme des lions; un jeune héros parut, et les accents de la gloire retentirent. Il saisit un drapeau, s'élança en avant, et les héros le suivirent."

L'Empereur en fut instruit, quoiqu'il n'en reçût pas de rapport officiel, et conféra à Miloradovitch une commanderie de Malte, dotée de 1.000 roubles de pension. Que ne doit-on pas attendre d'un jeune guerrier, qui, dès ses premiers pas dans la carrière des armes , se recommande par tant de valeur et tant de zèle pour le service , si heureusement unis. à tant de générosité ! Aussi que de services rendus par lui dans tout le cours de cette glorieuse campagne ! II en partage tous les travaux, tous les périls. Toujours le premier au combat, toujours se portant au plus fort du danger, soit qu'il conduise sa brigade à l'ennemi, soit qu'il le charge à la baïonnette, ou qu'il le poursuive et le harcelle, quelle infatigable activité ! Quelle rapidité dans ses mouvements ! Quelle intrépidité dans ses attaques !

Souvorov va chercher, dans les Alpes, le seul genre de gloire qui lui manque encore.  Il va vaincre la nature. Miloradovitch conduit son avant-garde. Que d'obstacles à surmonter ! La résistance de l'ennemi , disputant pied à pied les passages les plus difficiles à franchir, des rochers inaccessibles, des abîmes, dont on ne peut, sans frémir, mesurer de l'œil la profondeur , des torrents impétueux , la fatigue et la faim, rien ne peut arrêter la marche des Russes. Arrivés au sommet d'une montagne élevée à pic, les soldats étonnés de s'y voir parvenus, se demandent entre eux comment ils pourront en descendre. Voici comment, leur répond Miloradovitch ; et soudain couché sur le dos, il se laisse rouler jusqu'au bas de la montagne. Son exemple entraîne les soldats ; tous imitent leur brave commandant, et arrivent comme lui aux pieds du rocher, où l'ennemi les attend. Déjà Miloradovitch a rallié sa troupe ; déjà le plus terrible feu s'engage. Rien ne résiste; l'ennemi est vaincu autant par la surprise, que par le feu et la baïonnette des Russes. Ouserloh est pris d'assaut. Le détachement, qui s'en est rendu maître, se joint à Souvorov, et le miraculeux passage du pont du diable est effectué par les Russes. Leur inconcevable audace va être mise à des épreuves plus terribles encore.

Dans leur marche sur Altdorf, la nuit les surprend, et les enveloppe de ses plus épaisses ténèbres, au milieu des montagnes les plus inaccessibles ; des abîmes sans fond sont ouverts devant eux. Nul moyen de les franchir, qu'en passant, un à un, sur des poutres jetées en travers. En vain le ciel leur refuse sa lumière, et le moindre faux pas doit coûter la vie ; Miloradovitch et ses braves s'avancent avec intrépidité ; les abîmes sont franchis, et l'ennemi surpris prend la fuite. Mais, dans sa fuite, il a le tems de mettre le feu à un pont qu'il vient de traverser. Soin inutile ! Le feu ne saurait arrêter Miloradovitch. Il passe sur le pont brûlant; par ses ordres, ses cosaques profitent de la faveur d'un gué; le succès le plus complet couronne les plus hardis travaux : l'ennemi est entièrement défait, la ville couverte, et Miloradovitch, si glorieusement parvenu au terme de la plus mémorable des guerres, est décoré par son Souverain de l'ordre de St-Alexandre.

En 1805, les Russes, commandés par Koutouzov, marchent en Autriche, pour combattre de nouveau les Français. Arrivés en Bavière, ils sont forcés, par le malheur des circonstances, à un mouvement rétrograde. Dans leur retraite de Braunau à Olmutz, Miloradovitch, commandant une brigade, se couvre d'une gloire nouvelle. La première escarmouche, qui eut lieu près de Lambach, fut suivie de l'affaire d'Amstetten. Dans cette affaire, il rendit les plus importants services au Prince Bagration, en l'aidant à déboucher avec son arrière-garde, serrée de près par les Français. A la tète de 4.000 h. seulement, il marche à l'ennemi, le charge à la baïonnette, résiste à tous les efforts de ses troupes combinées, et, après six heures de combat, reste maître du champ de bataille.

Désormais son détachement ne quittant plus l'arrière-garde, des escarmouches sans fin sur ceschaussées détruites par des pluies d'automne, des fatigues sans relâche, la faim et l'insomnie, sont le partage continuel de cette poignée de braves. Au combat de Krems, le premier en action, il est un des principaux instruments de la victoire. Des milliers de prisonniers, des drapeaux, des canons, en sont les trophées. Il venait de recevoir, pour prix de ces travaux, la croix de St-Georges de 3e classe, et le rang de lieutenant-général, lorsque l'Empereur Alexandre, l'apercevant, dit en présence de ses gardes: "Voilà un général qui a emporté un rang à la baïonnette". Sa Majesté, non contente de publier ainsi la gloire de son fidèle serviteur, daigne encore récompenser, de ses mains, les soldats du détachement qu'il commandait, et particulièrement ceux de son régiment. A la bataille d'Austerlitz, qui termina cette courte mais laborieuse campagne, Miloradovitch, tout le jour au feu, se signale par une fermeté et un courage supérieurs à tous les dangers. Bientôt après, un armistice fut conclu, et les Russes se mirent en marche, pour rentrer dans leurs frontières. A leur arrivée en Russie, le chef des armées, le brave Koutouzov, écrivant à Miloradovitch, rendit, en ces termes, un glorieux témoignage â sa conduite en Italie et en Autriche : Votre Excellence a déjà, dans deux campagnes, rendu à la Patrie les plus signalés services. Elle espère vous voir encore travailler à son bonheur et â sa gloire, en cueillant de nouveaux lauriers. L'opinion de Koutouzov, les espérances de la Russie, ne tardèrent pas à être justifiées.

En 1806, la guerre s'alluma en Moldavie. Pendant qu'une partie des troupes Russes passe le Niémen, pour aller secourir la Prusse attaquée par les Français, l'autre partie entre en Moldavie et en Valachie. Miloradovitch se porte, avec son corps, sur. Les Turcs, soupçonnant les Valaques d'entretenir des intelligences avec l'ennemi, ont juré de défendre la ville jusqu'à la dernière extrémité, et de livrer cette grande cité et son immense population aux flammes, plutôt qu'aux Russes. Déjà les avant-postes turcs sont défaits ; déjà les Russes s'approchent de la place. Le signal de l'incendie et du massacre est donné par les Turcs. Les habitants sont encore suspendus entre la crainte et l'espérance. Quelques instants encore, et Bucarest peut-être n'offrira plus qu'un vaste cimetière. Miloradovitch a senti toute l'urgence des circonstances, tout le prix d'un moment; Il ne marche pas, il vole ; son avant-garde a peine à le suivre. Il arrive, et la terreur avec lui; Il attaque, il renverse, il écrase l'ennemi, et la capitale de la Valachie est sauvée. Mais non; l'affreux orage, qui menaçait de l'écraser, n'est encore conjuré que pour un tems; bientôt il éclatera avec une nouvelle fureur. Ce n'est qu'à Obilechte/Obileşti (actuellement en Roumanie) qu'il sera bien décidé que la ruine d'une ville est en vain jurée par les Turcs, quand Miloradovitch veille sur elle. Ses troupes peu nombreuses étaient disséminées sur le plateau de la Moldavie et de la Valachie ; il n'avait que 4.000 hommes auprès de lui, lorsque l'horrible serment fut renouvelé par les Turcs. Le grand vizir, et le célèbre Moustapha Baïractar sont déjà en marche pour l'exécuter. Tous deux, en même tems, passent le Danube ; le premier, avec 80.000 hommes, débouche près de Sillistri ; l'autre, avec 30.000, près de Rouchtschouk. L'ange de la destruction plane encore une fois sur la malheureuse Bucarest.

Miloradovitch rassemble un corps de 50.000 h., se porte à gauche , par une marche forcée qui décèle l'élève de Souvorov, parcourt 60 verstes avec une incroyable rapidité, et sur les bords de la Mastiche , près du village Obilechte , le 9 juillet 1807 , rencontre le corps d'avant-garde du grand vizir, le défait, le met en fuite, donne à peine à sa troupe le teins de respirer, se porte en arrière et, sous les murs de Bucarest, trouve les troupes légères d'une avant-garde turque , les bat , et les pousse , au-delà de 20 verstes , jusqu'à la rivière d'Arci. Il va combattre Bairactar ; mais Bairactar, instruit de la défaite du grand vizir, se retire précipitamment de l'autre côté du Danube, et le salut de Bucarest est assuré. La reconnaissance de cette ville inscrit dans ses annales, et grave dans le cœur de tous ses habitants, le nom de son sauveur. Sa Majesté consacre ce titre glorieux, en donnant à Miloradovitch une épée d'or, portant cette inscription: "Pour la bravoure, au sauveur de Bucarest" Et récompense tous ses travaux dans le cours de cette campagne, et sa conduite à l'affaire de la forteresse de Rijovate/Rassevat (Bulgarie) il est fait général d'infanterie en 1810.

Des circonstances nouvelles l'appellent bientôt à de nouvelles fonctions. Par un rescrit de Sa Majesté, il est d'abord nommé commandant d'un corps cantonné à Moiloff sur le Dniepr, et quelques mois après gouverneur de cette ville, avec charge d'inspecter les travaux des forteresses de Dinabourg, Babrouisk, et Kiev, et de prendre part au pouvoir civil de ce gouvernement. Il y passa les années 1810 et 1811, signalant son administration, par le plus noble désintéressement, et la plus incorruptible intégrité.

Il continuait, en 1812, dans l'exercice de fonctions civiles, à servir sa patrie, avec ce zèle ardent, dont il lui avait déjà donné tant et de si glorieuses preuves dans la carrière des armes, lorsque le génie du mal (sic!) se présenta aux portes de la Russie, traînant avec lui presque tous les peuples de l'Europe, ses victimes, pour les faire servir à la ruine du seul peuple, dont ils pouvaient encore espérer leur délivrance. Jamais d'aussi épouvantables dangers n'ont menacé la gloire et l'indépendance des Russes.  Jamais aussi leur noble passion pour la gloire et l'indépendance ne s'est manifestée par plus de prodiges. Tous demandent des armes; tous supplient la patrie d'accepter le sacrifice de leur vie. Elle ne peut les exaucer tous; mais Miloradovitch a acquis trop de titres à cette glorieuse faveur, pour qu'elle lui refuse l'honneur de contribuer à sa défense. Par l'ordre de son Souverain, il quitte son gouvernement, et se rend à Kalouga, pour y former une armée de réserve. Déjà l'ennemi a franchi les frontières Russes. La voix de l'armée, celle de ses plus valeureux chefs appelle Miloradovitch au champ d'honneur. "Il n'est pas de régiment qui n'ait servi sous vos ordres", lui écrit à Kalouga le brave Yermolov, commandant de l'état-major, "Ils vous ont toujours vu le premier au danger. Montrez-vous à eux, et rien ne pourra leur résister." Une Lettre de Barclay de Tolly, commandant de toutes les armées, le presse d'arriver pour une bataille générale, qui doit incessamment se livrer, et dont dépend le salut de la Russie. Il reçoit cette lettre, le 31 août, à minuit, et, avant le jour il part, conduisant en chariots, à marches forcées, 15.000 h. de troupes qu'il a déjà formées. En 2 jours, il se rend de Kalouga à Ijatsk. "Je savais", lui dit Barclay de Tolly, dans une seconde lettre, qu'à "la voix de la patrie, dans un moment qui va décider de son sort, nul n'accourrait avec plus de zèle, plus de célérité que vous. Le combat est inévitable; il va déterminer l'attitude de l'empire.Tous les efforts sont nécessaires. Votre présence est indispensable." 

Ce combat, unique dans les annales de la guerre, se livra, le 7 septembre, près de Borodino. Miloradovitch commandait l'aile droite et au centre de cette armée de frères, qui, défendant la gloire et l'indépendance de leur mère commune, contre vingt peuples combinés, leur apprirent que, par un siècle de triomphes, les Russes n'avoient point encore révélé au monde toute l'étendue de leur force, de leur intrépidité, de leur audace. Miloradovitch remplaça, dans le commandement de la 2ème armée, le Prince Bagration, mortellement blessé à Borodino. Le 10, à la prière du maréchal Koutouzov, il prit le commandement de l'arrière-garde, et, le même jour, remporta une victoire disputée par un sanglant combat. La Russie devait beaucoup à sa valeur. Elle ne dut pas moins à sa prudence, lorsque , sous les murs de Moscou , il sut enlever aux Français d'incalculables avantages , en suspendant leur poursuite, par la capitulation et l'armistice qu'il fit signer au Roi de Naples , ménageant ainsi un temps précieux aux armées russes, pour effectuer, sans danger, le passage de cette ville, et transporter leurs blessés en lieu de sûreté ; aux habitants et aux fonctionnaires publics, pour soustraire d'immenses richesses à l'ennemi. Du 14 septembre au 4 octobre, Miloradovitch, tous les jours au feu avec l'arrière-garde, et quelquefois engagé dans des affaires sérieuses, fit plus de 5.000 prisonniers, et rendit encore un important service aux armées, dont il couvrit et protégea la marche de Moscou à Taroutino.

Nul acte d'hostilité, depuis le 6 au 18 octobre. C'est là qu'on situe la rencontre entre Miloradovitch et Murat, adversaires de toujours, mais qui s'estimaient. Ils échangèrent leur manteaux à cette occasion, en gage d'estime. Au grand étonnement de l'Europe, dont les regards étaient fixés sur la Russie, l'orgueil du plus entreprenant des ennemis, s'endormit à cette époque, bercé par la flatteuse espérance d'une paix, dont il se tenait sûr de dicter les conditions. Cependant les Russes veillaient, et travaillaient, dans le silence, avec une activité sans exemple, à rassembler les plus puissants moyens, pour offrir à Napoléon, au sortir de son rêve trompeur, l'épouvantable, mais infaillible perspective des désastres de cette longue retraite, dont le récit au-dessous de la vérité, car le langage humain manque de force pour l'exprimer, paraîtra à peine croyable aux siècles à venir. Ce moment terrible est arrivé. Miloradovitch, commandant toute la cavalerie, concourt puissamment au succès et à la gloire de cette mémorable journée du 20 octobre, première époque de la délivrance de sa patrie. Le même honneur l'attend à Malo-Jaroslavets. Par une marche de 45 verstes en six heures , il arrive à tems, pour renforcer les troupes engagées , et partager le mérite d'une victoire, qui ne laisse aux armées ennemies, désormais convaincues de l'inutilité de leur résistance, d'autre parti qu'une fuite, qui ne prolonge leur existence, que pour leur faire plus longuement expier, par des tourments jusqu'alors inouïs, les sacrilèges excès dont elles se sont rendues coupables. (sic)

Miloradovitch les poursuit sans relâche, les atteint, le 5 novembre, aux environs de Viazma, engage un combat qui dure tout le jour, et arrache la victoire à l'ennemi, fort de 50.000 hommes, dont 8.000 restent sur le champ de bataille. La ville soustraite au feu, 30.000 prisonniers, au nombre desquels le général Pelletier, des canons et des drapeaux, sont les trophées de cette victoire. Quatre jours après, la ville de Dorogobousch est prise. Delà le vainqueur, menant sort avant-garde, par des chemins inconnus, à travers des forêts et des marais, tourne Smolensk, et devance l'ennemi, pour le rencontrer à Krasnoë. Dans les journées du 15, du 16, du 17 et du 18 novembre, les corps de Vice-Roi d'Italie et du Maréchal Davout sont défaits; celui de Ney est (presque) anéanti. Nul guerrier ne se couvrit de plus de gloire que Miloradovitch, dans les champs de Krasnoë: Dans l'espace de peu de jours, il y fit perdre à l'ennemi 15.000 hommes tués, 2 généraux, 285 officiers de tout grade, 22.000 soldats prisonniers, 56 canons, leurs caissons et de nombreux équipages. Les ordres de St-Wladimir de 1ère classe, et de St-Georges de 2ème Classe dont Sa Majesté le décora à Vilna, furent la récompense de ses travaux à Viazma et à Krasnoë.


Au commencement de 1813, les armées Russes passent le Niémen, se portent, sur plusieurs colonnes, vers le Duché de Varsovie, et en occupent le territoire. Le Prince Volkonski écrit alors au général Miloradovitch: "Sa Majesté, voulant vous récompenser d'une manière digne des services signalés que vous avez rendus pendant le cours de cette guerre patriotique, vous remet la gloire de soumettre Varsovie." Plein de reconnaissance envers son Souverain, pour l'honorable commission dont il l'a chargé, et pour les termes plus honorables encore, dans lesquels il lui a fait annoncer cette précieuse marque de sa haute estime, Miloradovitch se hâte d'entamer des négociations. Par l'habileté de ses mouvements, et la sagesse de ses mesures , il parvient à éloigner les Saxons et les Autrichiens, et prend possession de la ville, au nom de l'Empereur Alexandre. Le colonel Sipiagin, chargé de porter à l'Empereur les clefs de l'ancienne capitale de la Pologne, rapporte à Miloradovitch un rescrit, par lequel Sa Majesté l'attache à sa personne, et lui accorde l'honneur de porter des épaulettes ornées du chiffre de son maître. Un don de 100.000 roubles accompagnait cette précieuse faveur.

Varsovie occupée, les Russes se portèrent sur Kalitsch. Miloradovitch, avec son avant-garde, poussa en avant sur l'Oder, et entoura la forteresse de Glogau d'une partie de ses troupes. Au printemps de la même année, les Russes pénétrèrent en Saxe. Miloradovitch, avec son avant-garde, entra dans Dresde, puis marcha vers Chemnitz, et au-delà. On se préparait alors à une affaire générale. Elle eut lieu à Lützen, le 2 mai. Il ne prit point part à cette affaire; mais à la retraite des alliés, il commanda l'arrière-garde, qui se couvrit de gloire, en protégeant la grande armée, qu'elle mit à l'abri de tout danger, par son intrépide résistance aux continuels efforts des troupes combinées de l'ennemi. Du 2 mai jusqu'au 22 mai, toujours en lutte contre des forces supérieures aux siennes, Miloradovitch, sans parler des escarmouches journalières qu'il eut à soutenir, fut souvent engagé dans les affaires les plus sérieuses, le 23 Avril, près de Waldheim; le 24, près d'Etsdorf ; le 25, sur le chemin de Nossine à Wilsdorf; le 27, à la défense de l'Elbe, près de Dresde; le 28, près de Weissig; le 30, dans les environs de Bischoffswerda; le 3 Mai, entre le village de Rodtnaustitz et la ville de Bautzen. Le 7 et le 8, près cette ville, il commanda l'aile gauche de toute l'armée, et tint, avec une admirable fermeté, contre les efforts multipliés de l'ennemi, qui ne purent l'ébranler. A la retraite de l'armée, Il commanda encore l'arrière-garde.

Le 22, il livra un combat (de Reichenbach), où l'ennemi compta parmi ses morts Duroc et le général de division Kirgener. Il combattit encore , le 23, entre Reichenbach et Görlitz, et, le 24, sur le chemin de Görlitz à Löben. Il venait de recevoir le titre de Comte, pour prix de tant de travaux , quand un armistice suspendit les hostilités. Elles recommencent le 13 août. Les alliés, traversant les montagnes, ont tourné Dresde, et se proposent d'attaquer cette place. Mais les forces supérieures de l'ennemi, centralement combinées, se sont portées vers la Bohème. Le 26, les environs de Kulm sont le théâtre d'un combat à jamais mémorable, où une poignée de braves, des Gardes de sa Majesté, soutenant le premier choc d'un ennemi qui devait les écraser, renouvelèrent avec plus de succès, les prodiges tant vantés et si .peu croyables, opérés par les spartiates aux Thermopyles. L'armée, arrivée à tems à leur secours, enveloppa, battit complètement et fit presque entièrement disparaître 50.000 hommes, commandés par Vandamme. En recevant de son Souverain une gratification de 50.000 Rbl. et une épée en diamants, sur laquelle était reproduite cette glorieuse inscription, pour la bravoure, au sauveur de Bucarest ; et de l'Empereur d'Autriche l'ordre de St-Léopold , Miloradovitch apprit l'importance que ces deux monarques attachaient à la part qu'il avait prise aux travaux de cette glorieuse journée. Le 18 octobre, il commanda les gardes devant Leipzig. Après l'heureuse issue de la bataille, qui brisa le joug sous lequel gémissait l'Allemagne (sic!), et rendit à l'Europe l'assurance de son salut, il fut décoré de l'ordre de St- André, le plus ancien ordre de l'Empire.


En 1814, les Français virent les Russes, partis de Moscou en 1812, arriver sur les frontières de la France, traverser ses provinces, et entrer dans sa capitale. De tous les combats qui signalèrent cette marche à jamais célèbre, les plus importants furent livrés près Brienne, Arcis, Fère-Champenoise, et aux portes de Paris même. Tous, et le dernier surtout, fournirent à Miloradovitch des occasions de donner de nouvelles preuves de ces brillantes qualités guerrières, que la patrie avoir admirées en lui, dès son entrée dans la carrière des armes, et dont elle avait dès lors conçu de si hantes espérances, si glorieusement justifiées depuis, par toute la suite de sa vie militaire. Déjà presque tous les Souverains alliés lui avaient accordé les marques les plus flatteuses de leur estime pour ses nombreux et importants services, rendus à la cause la plus sacrée, cause commune de tous les peuples de l'Europe, lorsque, dans les derniers mois de cette guerre , le Roi de Prusse, en lui conférant les ordres de l'aigle rouge et de l'aigle noir , se plut a témoigner qu'il sentait aussi vivement qu'aucun des Princes de l'Allemagne, tout ce qu'elle devait à la valeur et aux travaux du général Miloradovitch. En 1814, Miloradovitch commande le contingent allié dans les Pays-Bas.

À partir de 1818, il est gouverneur militaire de Saint-Pétersbourg. Le 14 décembre 1825, il tente d'apaiser les dirigeants décembristes au sénat. Populaire au sein de l'armée, il est sur le point de réussir à exhorter les principaux dirigeants, quand Evgeni Obolenski le blesse d'un coup de baïonnette. Il est ensuite tué par Piotr Kakhovski, un des rebelles des plus radicaux. Ainsi se terminent la vie de celui qu'on avait appélé le Murat russe, et qui mourut (un peu) comme Mortier !



 

La tombe de Miloradovitch dans le monastère de la Sainte-Trinité-Alexandre-Nevski, à Saint-Pétersbourg.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

D'après :
An., Galerie des portraits gravées des Généraux, Officiers, etc. qui par leurs valeur, leurs talens militaires et leur patriotisme, ont contribué aux succès des armées russes pendant la guerre commencée en 1812, St-Pétersbourg, Imprimerie de Pluchat et Cie, 1813.


Attention, le texte russe (!) est livré tel quel, mais il a été complété, l'orthographe a été modernisée et les dates converties au calendrier grégorien.