Moreau en général de la République. |
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Sur les demandes instantes de son chef et de son ami, Moreau fut nommé général de brigade à titre provisoire le 20 décembre 1793 par les représentants du peuple Hentz et Florent Guiot, et confirmé dans ce grade par le conseil provisoire exécutif le 6 février 1794. Général de division commandant la deuxième division de l'armée du nord à Cassel le 14 avril 1794. Il eut aussitôt le commandement d'un corps séparé, destiné à agir dans la Flandre maritime, où il justifia la confiance du gouvernement par la conduite la plus brillante. Il servit aux combats de Mouscron le 29 avril, s'empara de Menin, le 30 avril, après un blocus de quatre jours. Sert à Tourcoing le 18 mai, à Pont-à-Chin, le 23 mai, puis s'empare d'Ypres le 17-18 juin, après douze jours de tranchée ouverte. Le 29 du même mois, il prit Bruges, et dans le mois suivant, Ostende, Nieuport et l'île de Cadzand. Il attaqua ensuite le fort de l'Écluse (Sluis), qui se rendit par capitulation le 26 août. Il est douloureux d'avoir à rappeler qu'au moment où le fils faisait de si glorieuses conquêtes pour la République, la tête de son vénérable père, accusé de fédéralisme, tombait à Brest sous la hache de stupides et sanguinaires proscripteurs. Il commanda provisoirement l'armée du Nord à la place de Pichegru, malade, du 11 octobre au 22 décembre 1794. Moreau continua cependant à servir la République et prit une part glorieuse à cette mémorable campagne d'hiver de 1794, pendant laquelle il commanda l'aile droite de l'armée de Pichegru, qui, traversant des fleuves et des bras de mer sur la glace, soumit toute la Hollande. Ce fut aussi lui qui conçut un plan général de défense pour ce pays, plan qui fut adopté par le gouvernement français, et dont l'exécution fut confiée aux généraux Daendels et Dumonceau.
Nommé au commandement en chef de l'armée du Nord à la place de Pichegru le 3 mars 1795, puis commandant en chef de l'armée de Rhin-et-Moselle à la place du même, le 14 mars 1796, il ouvrit, en 1796, une campagne devenue non moins fameuse, qui fonda sa réputation militaire, et le couvrit de gloire. Il força d'abord près de Frankenthal le camp du général Wurmser, qui fut obligé de chercher son salut sous les murs de Mannheim. Dans la nuit du 23 au 24 juin, Moreau fit passer le Rhin à l'armée française près de Strasbourg. Les troupes autrichiennes qui se trouvaient à Kehl furent forcées de fuir en désordre, et une partie tomba entre les mains du vainqueur. Il envoya ensuite le général Férino contre l'armée de Condé, qui se trouvait faiblement soutenue par quelques petits corps autrichiens, et qui fut dispersée. Lui-même marcha contre la grande armée autrichienne commandée par l'archiduc Charles, et après avoir, par d'habiles manœuvres, forcé à la retraite toutes les troupes qui occupaient le Brisgau, il attaqua le prince à Rastadt, le 6 juillet, et l'obligea après la plus opiniâtre résistance à se retirer sur Ettlingen où il l'attaqua de nouveau le 9, et le battit complètement. L'archiduc gagna alors la forte position de Pforzheim où il se croyait inexpugnable. Moreau parvint cependant à l'en déloger le 15, et dès ce moment il ne cessa de se porter en avant pour pénétrer dans le cœur de l'Allemagne.
Les généraux des deux nations déployèrent dans toutes ces affaires, des talents remarquables, et les soldats le plus grand courage. Moreau avait trouvé tous ses généraux divisionnaires dignes de lui. Le brave Desaix, dont un trépas glorieux immortalisa depuis le nom à Marengo, commandait sous lui, et rendit les plus grands services; le général Férino fut honorablement cité dans tous les rapports, ainsi que tant d'autres chefs qui établirent alors leur réputation dans une année devenue une pépinière de héros. L'armée autrichienne, malgré ses nombreuses défaites, ne se retirait que lentement. Elle fut encore vaincue à Constadt, Berg et Ettlingen, dans les journées des 18, 21 et 22 juillet 1796. Cette série de brillants succès rendit les Français maîtres de tout le cours du Necker, et ils entrèrent en triomphe, le 3 août, dans la ville de Constance qu'ils venaient d'emporter.
L'archiduc Charles opposa à la mauvaise fortune une constance héroïque. Réunissant toutes ses forces, il résolut de faire une nouvelle tentative, et attaqua le 11 au matin, les Français sur toute leur ligne. Le combat de Neresheim fut des plus acharnés ; déjà les avant-postes de Moreau avaient été mis en déroute, et son aile droite repoussée jusqu'à Heidenheim, lorsqu'il vint, à la tête d'un corps de réserve, réparer cet échec et donner la main à Desaix, qui triomphait a la tête de l'aile gauche. Après 17 heures d'une lutte obstinée, les deux armées étaient encore en présence le soir, et la victoire paraissait indécise. Le général français venait même de donner ses ordres pour faire partir les équipages de l'armée, si la retraite devenait nécessaire; mais il vit bientôt, avec une joie inexprimable, les Autrichiens, qui avaient fait des pertes immenses, opérer la leur, et lui céder tout l'honneur de la journée.
L'archiduc Charles alla se réunir au général Wartensleben qui était dans une position dangereuse en présence du général Jourdan. Moreau se porta en avant, et se trouva bientôt avoir en tête le général Latour, qui recevait sans cesse des renforts considérables. Il l'attaqua à Friedberg et le battit complètement le 24 août, lui faisant un grand nombre de prisonniers. L'intention de Moreau était de passer le Danube, et d'aller au secours de Jourdan, qui avait fait une invasion parallèle à la sienne vers Ratisbonne ; mais ce dernier venait d'être accablé par des forces supérieures, et son armée était dans une déroute complète. La prudence exigeait alors que Moreau songeât lui-même à opérer sa retraite. Il la commença le 11 septembre ; elle fut longue et glorieuse, et a été citée comme un des beaux faits d'armes qui aient illustré la vie de ce général.
Du fond de l'Allemagne, il regagna les frontières de la France sans se laisser entamer par un ennemi supérieur en forces, et le battit en plusieurs rencontres. Au combat de Biberach, le 2 octobre, il remporta un avantage signalé, et fit plusieurs régiments autrichiens prisonniers. Ce fut en vain que, pour lui disputer le passage de la Forêt-Noire, l'archiduc Charles avait envoyé plusieurs corps, pour le tourner et s'emparer des défilés. Ils furent tous successivement battus et dispersés. Moreau respecta religieusement la neutralité de la Suisse, que les années des coalisés ont si peu respectée depuis, préférant se faire jour à travers la Forêt-Noire et multiplier ses marches pénibles, plutôt que de violer le territoire neutre d'un peuple indépendant.
Il arriva enfin intact sur le Rhin, qu'il passa à Huningue et à Breisach, conservant devant la première de ces places une tête de pont, et jetant une garnison dans le fort de Kehl, qui se défendit avec la plus haute valeur et arrêta les Autrichiens pendant deux mois. Ils perdirent devant ce fort un temps précieux et un nombre considérable d'hommes. La tête de pont de Huningue, quoique dominée parles batteries autrichiennes, offrit aussi une résistance digue d'admiration. Les Français, qui s'étaient creusé des habitations au sein de lu terre, ne laissant que les hommes nécessaires a la garde des redoutes semblaient, au moment des attaques, renouveler la fable des soldats de Cadmus.
Au mois de février 1797, Moreau se rendit à Cologne, y réorganisa l'armée de Sambre-et-Meuse, en céda le commandement au général Hoche, et se reporta sur le Haut-Rhin. Il passa de nouveau ce fleuve le 20 avril en plein jour, et en présence de l'armée autrichienne rangée en bataille, qu'il attaqua et força dans ses positions, lui fit 4.000 prisonniers, enleva 20 pièces de canon, des drapeaux, équipages, etc., et reprit, en peu de jours, ce fort de Kehl, qui avait coûté à l'ennemi un siège de 2 mois et l'élite de son armée. Le passage du Rhin a mérité à son tour d'être cité parmi les plus glorieux faits d'armes des armées françaises. Les succès de Moreau ne se seraient sans doute pas arrêtés là, si les préliminaires de la paix signée à Leoben ne fussent venus en interrompre le cours.
La République triomphait à cette époque de tous ses ennemis du dehors, mais elle était déchirée dans l'intérieur par des factions acharnées qui s'en disputaient les lambeaux. Une vaste conspiration, dont Pichegru était l'âme, avait depuis longtemps été ourdie contre elle; les preuves s'en trouvaient depuis plusieurs mois entre les mains de Moreau ; elles étaient complètement établies par une correspondance tombée en son pouvoir, lors de la prise des fourgons du général émigré Klinglin. Moreau avait hésité à les faire connaître au gouvernement français par suite de l'ancienne amitié qui l'avait lié à Pichegru, et de la reconnaissance qu'il avait vouée à ce général.
Mais enfin le danger lui parut pressant; la journée du 18 fructidor an 5 (4 septembre 1797), tout en le neutralisant pour le moment, mettait au grand jour les périls dont la République était menacée. Moreau se détermina enfin, quoiqu'un peu tard, à envoyer au Directoire les pièces dont il se trouvait possesseur. Il fit même arrêter quelques personnes compromises par la correspondance de Pichegru et adressa une proclamation énergique à l'armée, pour l'instruire de la trahison de ce général, que depuis longtemps il n'estimait plus : telles furent au moins ses expressions. La conduite de Moreau en cette occasion fut, comme il était facile de le prévoir, hautement blâmé par les royalistes, et non moins fortement improuvée par les républicains. Ces derniers écartaient avec peine quelques soupçons de déloyauté, et.ne pouvaient s'empêcher d'attribuer le long silence que Moreau avait gardé sur une affaire aussi importante, à des vues secrètes et personnelles, peu favorables à leur cause. Mandé à Paris par le Directoire, il s'y rendit aussitôt; mais les explications qu'il donna n'ayant pas satisfait entièrement un gouvernement ombrageux, et les plans qu'il proposait pour la campagne prochaine ne paraissant pas convenir davantage il demanda sa retraite, qui lui fut sur le champ accordée.
Moreau s'établit alors dans une petite maison située à peu de distance de Paris, où il vécut éloigné des affaires, avec son ami, le général Kléber, qui se trouvait aussi, à cette époque, en disgrâce auprès du gouvernement directorial. En 1798, le besoin qu'on eut de chefs militaires d'une habileté consommée fit encore avoir recours à Moreau, qui, acceptant les offres du gouvernement, rentra en activité de service. Nommé d'abord inspecteur-général, il fit ensuite partie de la commission établie pour préparer les plans des opérations de la campagne de 1799, et fut enfin envoyé à l'armée d'Italie commandée par Schérer. Il y fut témoin des désastres que l'impéritie d'un chef inhabile attirait sur elle, et que de meilleurs conseils ne purent ni prévenir ni réparer. Schérer prit enfin le parti de se retirer de sa personne et, le 21 avril, remit à Moreau, avec le commandement de l'armée, le soin de la sauver.
Ce général proposa alors et fit adopter dans un conseil de guerre, l'avis de se replier sur le Piémont ; mais pour y parvenir, il fallait soigneusement éviter tout engagement sérieux avec une armée formidable, animée par ses derniers succès. Les Français étaient réduits à 25.000 hommes, et en avaient 90.000 en tête, dont le fameux Souvorov dirigeait les mouvements. Moreau n'en mit pas moins son plan à exécution. Il rassembla son armée derrière l'Adda, et manœuvra avec une précision et une habileté admirables, portant sa droite vers les Apennins, et formant un camp retranché entre Alexandrie et Valence, derrière le Pô et le Tanaro, où il espérait que le général Macdonald, qui accourait du royaume de Naples, pourrait venir le joindre avec son armée. Le 11 mai, il battit 12.000 Russes près de Bassignano, et passa la Bormida. Attaqué par toutes les forces réunies de Souvorov, il fut obligé de changer sa direction, mais pénétra néanmoins dans le pays de Gènes, tenant les hauteurs et les passages des Apennins, et espérant bien reprendre l'offensive dès qu'il aurait opéré sa jonction avec l'armée de Naples. Celle-ci fut malheureusement défaite dans les sanglantes journées de la Trebbia par Souvorov; et Moreau, qui était sorti de Gènes avec 15.000 hommes, qui avait battu le corps autrichien du général Bellegarde, débloqué Tolose et poussé l'ennemi jusqu'à Voghera, fut obligé, après les désastres de Macdonald, de renoncer à l'offensive et de se retirer dans les Apennins.
Sur ces entrefaites, le gouvernement appela Moreau au commandement en chef de l'armée du Rhin le 5 juillet, et envoya le général Joubert pour le remplacer en Italie. Ce dernier trouva l'armée en présence de l'ennemi et forcée à en venir à une bataille, le nouveau chef voulut laisser, dans la journée qui se préparait, l'honneur du commandement à Moreau; mais il le refusa et déclara qu'il combattrait sous les ordres de Joubert en qualité de simple volontaire. La malheureuse bataille de Novi fut livrée le 15 août, le brave Joubert y trouva une mort glorieuse ; Moreau courut les plus grands dangers, eut trois chevaux tués sous lui, fut blessé à l'épaule, mais parvint heureusement sauver l'armée. S'il n'avait pu arracher la victoire à un ennemi triple en forces, au moins sut-il lui en dérober le fruit, et opéra sa retraite avec une habileté admirée de cet ennemi même, qui ne put l'entamer.
En allant prendre le commandement de l'armée du Rhin, Moreau vint à Paris. Le gouvernement directorial penchait déjà vers sa ruine; les partis, qu'il n'avait su contenir, réagissaient contre lui. On crut qu'un général d'une liante réputation, adoré des soldats, pourrait rendre de l'énergie et de la considération au gouvernement on fit des propositions à Moreau, mais il ne voulut point prendre part aux agitations civiles, ou du moins hésita-t-il à jouer le premier rôle. Il ne tarda pas même à se ranger sous les bannières du jeune vainqueur de l'Italie, revenu de l'Égypte par une espèce de miracle, à travers toutes les croisières anglaises, Bonaparte fixait alors les regards de la France entière, et tous les partis s'adressèrent en secret à lui.
Moreau seconda efficacement ce général dans les célèbres journées des 18 et 19 brumaire; mais il parut s'en repentir presque aussitôt, et montra quelque froideur au Premier Consul. Celui-ci lui confia cependant le commandement des armées du Danube et du Rhin. Le passage de ces fleuves, les combats de Kray à Engen, le 3 mai, de Moeskirch, le 5 mai, de Biberach, le 9 mai, de Memmingen, le 10 mai, d'Hochstett, le 19 juin, de Nedenheim, de Nördlingen, d'Oberhausen, et enfin la victoire décisive de Hohenlinden, le 3 décembre 1800, vinrent ajouter un nouvel éclat à la gloire militaire de ce grand capitaine.
Vue du champ de bataille de Hohenlinden entre Kronacker et Hohenlinden.
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Monument de la bataille de Hohenlinden, inauguré en 1998. Les trois premiers piliers symbolisent les nations belligérantes, la Bavière, l'Autriche et la France. Le dernier représente la population entre Danube et Inn, qui souffrit de la guerre. Les poutres transversales qui reposent sur les piliers représentent l'espoir d'un avenir pacifique qui unira les peuples d'Europe. La stèle en granit rouge de Finlande représente le sang versé, et les thuyas, à gauche, les troupes françaises montant à l'assaut .
La Bataille de Hohenlinden, par Henri-Frédéric Schopin
Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Bataille_de_Hohenlinden.jpg
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Hauptstrasse 6 à Hohenlinden, auberge de la Poste, où le général Moreau établit son QG.
Le général Bonaparte avait de son côté remporté des succès non moins décisifs en Italie, et la bataille de Marengo venait de le rendre de nouveau le maître de la plus grande partie de ce pays, et l'arbitre de ses destinées futures. Moreau n'était plus qu'à 25 lieues de Vienne, quand les Autrichiens demandèrent la paix. Il revint à Paris, où le Premier Consul le félicita publiquement sur ses triomphes, et lui fit accepter le don d'une paire de pistolets richement garnis de diamants, où on regrettait de n'avoir pu, faute d'espace, graver le nom de toutes ses victoires. Telles furent les paroles flatteuses du donateur qui accompagnaient ce don. Il fut même question d'un mariage avec la sœur cadette du Premier Consul, Pauline, qui épousa ensuite le prince Borghèse, mais des circonstances particulières empêchèrent cette union, et Moreau contracta bientôt d'autres liens.
Louise-Alexandrine-Eugénie Hulot, une jeune personne belle, aimable, riche et fière de tous ses avantages, mais surtout de son union avec un homme aussi illustre, prit, en épousant le général Moreau, un grand ascendant sur son esprit: elle était, à ce qu'on assurait, bien plus ambitieuse que son mari, et sa mère encore plus que tous deux. On ne cessait de répéter au vainqueur de Hohenlinden que tout rôle secondaire dans l'état était au-dessous de lui. De futiles prétentions s'élevèrent en sa maison; on s'indignait d'être forcé de céder le pas à la femme du Premier Consul; on voulut établir d'absurdes rivalités.
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Moreau se retira bientôt dans sa terre de Grosbois, ne paraissait que rarement à Paris, et jamais aux Tuileries ; mais nombre de personnes mécontentes du gouvernement venaient se rallier autour de lui à la campagne. De faux amis se joignirent à elles, et d'innocent propos étaient envenimés dans leurs rapports. Plus ami de l'égalité, et plus républicain qu'il n'avait paru jusqu'alors, Moreau blâma hautement l'établissement de la Légion d'honneur, déclara qu'il n'en porterait jamais la décoration, et ne voulut pas non plus être compris dans la nomination des maréchaux de l'Empire. Enfin, on parvint à l'impliquer dans une conspiration dont Pichegru et Georges Cadoudal étaient les chefs, et dont la police tenait déjà tous les fils.
Un abbé David, qui se rendait en Angleterre, avait été arrêté à Calais; il était porteur de lettres à Pichegru. On assura qu'il y en avait une de Moreau, mais le fait ne fut point légalement prouvé. David avoua cependant, au Temple, qu'il était chargé de rapprocher ces deux anciens amis. Pichegru, Georges et plusieurs de leurs affidés arrivèrent quelque temps après, de Londres à Paris. La police en avait été avertie par les révélations du nommé Querelle, et ils furent tous successivement arrêtés.
Moreau l'avait été dès le 15 février 1804 sur un ordre du grand-juge Régnier, qui était aussi ministre de la police. Plusieurs des prévenus avouèrent, dès les premiers interrogatoires, qu'ils étaient venus à Paris dans l'intention d'enlever le Premier Consul. Moreau, sur l'accusation d'avoir reçu chez lui Pichegru, depuis que ce général avait trahi la République, répondit qu'il était l'ami et non le complice de Pichegru, qu'il lui devait sa fortune militaire, et qu'il pouvait lui en avoir conservé de la reconnaissance, sans être pour cela traître à sa patrie et ennemi du pouvoir. Cette dénégation, quoique très vraisemblable, en tout ce qui concernait sa participation directe à un complot, ne satisfit point le gouvernement. Le général Moreau resta pendant trois mois enfermé au Temple, sous le poids d'une accusation capitale, comme ayant attenté à la vie du Premier Consul et à la sûreté de l'État.
Mis en jugement devant la cour criminelle, les débats commencèrent le 9 prairial an XII (29 mai 1804). Il ne se trouva point contre lui de preuves écrites ; 120 témoins furent entendus, aucun ne présenta de charges graves. Un des accusés, le sieur Roland, entrepreneur des vivres de l'armée, qui avait caché Pichegru dans sa maison, dit, à la vérité, qu'il avait été chargé par ce général de négocier avec Moreau et que celui-ci lui avait répondu : "Je ne puis me mettre à la tête d'un mouvement pour les Bourbons : un essai semblable ne réussirait pas. Si Pichegru fait agir en un autre sens (et en ce cas je lui ai dit qu'il faudrait que les consuls et le gouvernement de Paris disparussent), je crois avoir un parti assez fort dans le sénat pour obtenir l'autorité; je m'en servirai aussitôt pour mettre tout le monde à couvert : l'opinion dictera ensuite ce qu'il conviendra de faire, mais je ne m'engagerai à rien par écrit", Roland ne put apporter aucune preuve de son allégation. On n'en eut pas davantage de la réponse qu'on prêtait à Pichegru. "Je vois que Moreau veut aussi gouverner, mais je ne lui en donne pas pour huit jours..." II est à observer qu'à cette époque la loi n'avait pas encore mis la non révélation au nombre des crimes.
Pendant le cours des débats, Moreau fit publier un mémoire justificatif, et prononça devant ses juges un discours noble et touchant. Ces deux pièces furent supprimées par l'ordre du procureur-général, et les juges n'en eurent qu'une édition tronquée ; mais l'accusé inspirait un intérêt général, et son parti se prononçait assez ouvertement. Aux Tuileries même, quelques personnes osèrent prendre sa défense; des officiers et des soldats qui avaient servi sous ses ordres murmuraient hautement, et la force armée de service près le tribunal ne manquait jamais de lui rendre tous les honneurs militaires lorsqu'il passait devant elle. Le réquisitoire du procureur-général fut très mal accueilli par l'auditoire. Ce magistrat avait consacré tout son travail à incriminer le général Moreau, et paraissait avoir oublié les 44 autres accusés, jusqu'au moment où il requit contre eux en masse la peine capitale, se dispensant même de les nommer, et ayant perdu de vue qu'une femme au nombre de ses accusés n'avait pu pour cause de grossesse et de maladie, comparaître devant le tribunal. On sentit tout le danger du zèle excessif de l'organe du gouvernement, et il fut ordonné au premier substitut du procureur-général de mettre plus de soins et de réparer ces torts, dans sa réplique. Celle-ci ne fut cependant point prononcée, car dans le besoin pressant de clore les débats, on fit dès le 19 prairial (8 juin 1804) proposer au tribunal d'entrer en délibération, immédiatement après les plaidoiries des avocats, que l'on jugea ne devoir tenir qu'une faible partie de la séance. Les juges firent connaître que ce qu'on demandait d'eux était impossible, et qu'ils n'avaient pas rassemblé les éléments nécessaires pour former leur opinion définitive; on leur répondit que tout était préparé pour laisser ce temps à leurs méditations; que chacun d'eux serait libre de travailler dans son cabinet; qu'on leur ferait tenir individuellement tout ce qui serait nécessaire à la vie et au repos» et que, quoique retirés de l'audience, ils n'entreraient en délibération qu'autant qu'ils y seraient préparés. La première discussion donna l'idée du caractère que chaque juge développerait dans la suite du procès; jusque-là on n'avait pu se procurer aucun indice sur leur opinion. Ils avaient évité toutes communications, même entre eux.
La cour criminelle entra en délibération le 20 prairial à 8 heures du matin. L'ordre de la délibération même devint l'objet d'un premier travail,, et il fut convenu que les questions seraient posées par le président dans l'ordre de l'accusation que le rapporteur aurait le premier la parole pour développer la question et émettre son opinion; que le président recueillerait successivement l'opinion de chaque juge en commençant par le dernier conseiller dans l'ordre de réception que l'opinion du président serait ainsi la dernière pour le prononcé de l'arrêt; qu'il ne serait pas fait de double épreuve dans le cas d'absolution; que les épreuves pouvaient avoir lieu jusqu'à trois fois, en cas de condamnation, si un seul juge en réclamait, suivant l'usage des anciennes cours souveraines. La délibération fut ensuite suivie individuellement pour chaque accusé. Le président ayant recueilli les voix relativement au général Moreau, il s'en trouva 7 pour absoudre et 5 pour la condamnation à là peine capitale. Le procureur général avait fortement insisté sur la peine de mort, bien convaincu, disait-il, que l'accusé aurait sa grâce. "Eh qui nous la donnera à a nous, notre grâce ?" s'écria un juge intègre, M. Clavier. Une discussion très vive avait eu lieu entre le procureur-général et M. Lecourbe, ainsi que deux autres juges, le premier soutenant que l'acquittement de Moreau serait un signal de guerre civile. «Vous voulez, disait-il, mettre ce général en liberté; il n'y sera pas omis. Vous forcerez le gouvernement à faire un coup d'état ; car ceci est une affaire politique plutôt qu'une affaire judiciaire, et il y a quelquefois des sacrifices nécessaires à la sûreté de l'État. » Misérable argutie d'un instrument subalterne de l'autorité, plus occupé de sa fortune particulière que des vrais intérêts de l'état, dont le premier intérêt, comme le plus sacré, est d'être confié à des magistrats inaccessibles à la crainte et à la corruption.
Après trois heures de débats et de délais, la cour criminelle avait repris ses délibérations. Pendant cet intervalle, des courriers avaient été expédiés du parquet à Saint-Cloud. De grands personnages s'étaient rendus chez le premier président, où furent successivement mandés les juges sur lesquels on comptait pour obtenir la majorité. Il fut enfin décidé, sur la proposition de l'un d'entre eux qui avait d'abord voté la peine de mort, que le général Moreau serait déclaré coupable, mais excusable. L'arrêt fut porté, en conséquence, à la majorité de 9 voix contre 3, et l'accusé fut condamné à deux années d'emprisonnement et aux frais du procès, solidairement avec les autres condamnés. Au prononcé de la sentence éclatèrent des transports de joie, le peuple s'écriait de toutes parts : "Il est sauvé !" Deux des magistrats qui avaient courageusement persisté dans leur première opinion, furent signalés au gouvernement par le procureur-général comme des ennemis dangereux, et furent par la suite privés de leurs fonctions, mesure aussi peu honorable pour l'autorité trompée, que les récompenses données par elle aux juges qui la servent dans ses injustes animosités.
Mme Moreau sollicita, comme une grâce, qu'il fût permis à son mari de voyager pendant les 2 années que devait durer sa détention. Fouché, redevenu ministre de la Police, fut l'intermédiaire actif de ses communications avec le chef du gouvernement, et il fut permis à Moreau de se rendre aux États-Unis d'Amérique à condition qu'il ne pourrait rentrer en France qu'avec l'autorisation du gouvernement français. Il partit aussitôt avec sa femme et ses enfants, escorté jusqu'à la frontière d'Espagne par des gendarmes. Ses biens furent vendus en France par sa belle-mère et suffirent à peine pour payer les frais énormes de la procédure criminelle. Il s'embarqua à Cadix en 1805, et arriva sans accident aux États-Unis, où il acheta une belle campagne près de Morinville au pied de la chute du fleuve Delaware. Cette retraite, où il se livrait aux paisibles occupations de la pêche et de la chasse, parut avoir pour lui pendant quelques années les plus grands charmes.
Mais bientôt les nouvelles suggestions de l'ambition et de la vengeance, ou peut-être l'irrésistible entraînement d'une destinée funeste, le portèrent à abandonner les champs de l'Amérique et à traverser les mers pour joindre de nouveaux amis. Moreau s'embarqua dans le plus grand secret, le 21 juin 1813, avec M. de Svinine, conseiller d'ambassade russe, arriva le 24 juillet suivant danse port de Gothembourg, et se rendit de là à Prague où se trouvaient réunis les empereurs de Russie, d'Autriche et le roi de Prusse. La, comblé de caresses et de faveurs, il contracta, dit-on, l'engagement de diriger les opérations des armées de ces souverains, coalisés de nouveau contre la France. Il lui parut pénible sans doute, pour ne rien dire de plus, d'avoir à combattre ses concitoyens, de se trouver dans les rangs d'anciens ennemis, et de voir en face les drapeaux qu'il avait lui-même illustrés par tant de victoires.
Quelquefois il cherchait à soulager son âme oppressée. Un général étranger, distingué par ses talents, et qui avait acquis sa réputation au service de France, mais qui venait, par des motifs particuliers de mécontentement, de quitter ses drapeaux et de se donner aux Russes, rencontrant un jour Moreau, celui-ci lui dit « Il a fallu un concours singulier de circonstances, pour que nous nous trouvassions ici ensemble. Sans doute, général," répondit l'étranger, "il est étonnant de nous trouver ici tous deux; mais il n'y a point d'ailleurs de parité entre nous: je ne suis pas Français. « Ah, vous me déchirez le cœur, » s'écria Moreau.
27 août 1813, 2ème journée de la bataille de Dresde
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Panorama sur Dresde à partir de l'endroit où fut mortellement blessé le général Moreau. (le monument est sur la droite)
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Détail du casque de ce monument, un des plus anciens des guerres napoléoniennes.
Contrairement à ce que certaines sources (Pigeard, Dictionnaire des Batailles) affirment, la Bismarckturm n'a rien à voir avec la bataille de 1813, c'est une des nombreuses Bismarcktürme érigées dans le pays pour honorer l'homme d'Etat !
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(cliquez pour agrandir)
Panorama sur la ville de Dresde et le champ de bataille du 26-27 août
1813, depuis le haut de la Bismarckturm.
Au centre, sous les chênes, le monument Moreau.
Selon certaines sources, Moreau aurait été blessé à 200 m à l'est du monument,
donc à l'emplacement des petits jardins sur la droite.
On fit à la hâte un brancard de piques de cosaques, sur lequel on le porta dans une maison voisine, le Palitzsch-Gut à Kleinpestitz.
Kleinpestitz À 7 km au S. de Dresde.
Altpestitz 5, Palitzsch-Gut ou domaine de Palitzsch. C'est ici que le général
Moreau, blessé, est tout d'abord emmené le 27 août 1813 après sa blessure au
deux jambes. (51° 01' 00.17’’ N ; 13° 44' 13.91’’ E).
Eigenheimstrasse 1, Moreauschenke. L'auberge Moreau, qui contenait de nombreux souvenirs, est fermée depuis 1988 et est maintenant une maison d'habitation. Au dessus de la porte d'entrée, clé de voute avec l'année « 1813 » et un boulet de canon. |
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Vue intérieure.
Vue des dépendances du château, actuellement (2013) en ruines.
(cliquez pour agrandir)
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Traduction de la plaque commémorative sur la maison actuelle: « Dans une maison qui se trouvait à cet endroit, durant les guerres napoléoniennes en 1813, est décédé l’ancien général français Moreau, qui était au service du tsar de Russie, après avoir été grièvement blessé à la bataille de Dresde et enterré à Saint-Pétersbourg. Ici est né le peintre académique Emil Holárek et a vécu le poète Konstantin Biebl. »
La mort du général Moreau, par Auguste Couder (détail)
Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Victor_Marie_Moreau
Le tableau complet.
Son corps fut porté à Prague pour y être embaumé, et de là, transféré à
Saint-Pétersbourg. Son cœur fut rapporté à sa veuve.
Saint-Pétersbourg
Auteur : Mogadir. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:St._Katharina_-_Sankt_Petersburg_(2015-07)_01.JPG
Son tombeau se trouve à Saint-Pétersbourg,sur la perspective Nevski, dans la crypte de l'église Sainte-Catherine. À la suite d'un incendie en 1947, qui détruit l’intérieur et les orgues, la crypte n'est plus accessible au public. A l'entrée, une nouvelle une plaque commémorative (en russe et en français) indique que sa dépouille y repose.
L'historien Valynseele cité par
Pierre Savinel dans son ouvrage "Moreau, rival républicain de
Bonaparte" (cf. ci-dessous), obtint des clichés du cercueil de la part de l'ambassade soviétique :
sur le couvercle supérieur, on y voit des restes d'un revêtement de velours avec
des galons et des ornements de bronze. En tête et au pied du cercueil subsistent
des plaques ouvragées en métal doré, avec des inscriptions en langue française ;
sur la plaque au pied, il est gravé :
« Guide de l'éternité, il ne vécut sur cette terre que pour mourir dans la carrière qui mène à l'immortalité. »
marÉchAL |
L'empereur Alexandre, très touché de la mort de celui à qui il avait donné le
titre de son ami et de son conseil, fit don à sa veuve de 500.000
roubles, et d'une pension annuelle de 30.000. S. M. Louis XVIII lui donna le
titre de maréchale. Elle est morte en 1821. Moreau sera toujours compté au
premier rang des plus célèbres capitaines d'une époque féconde en grands hommes
de guerre. Ses mœurs étaient simples et pures ; modeste dans son intérieur,
humain et généreux autant que brave à la tête des armées, il était chéri des
soldats et des officiers. Son caractère doux et facile le soumettait souvent à
des influences étrangères ; les femmes exercèrent toujours sur lui un grand
empire. Son fin fut déplorable : ce n'était point ainsi que devait succomber
un tel homme.
On peut en effet avoir des difficultés à comprendre Moreau, qui
se prétend "pur" républicain à tout prix, mais qui s'allie avec les pires
monarchies réactionnaires...
Bordeaux
Ici |
ci-gÎt |
On notera que son épouse porte le titre de maréchale, mais lui, seulement celui de général !
A gauche : |
A
droite
:
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1. On trouve plusieurs dates de naissance : 13 février, 14 février (e.a.
chez Six et sur Wikipédia), 11 août (dans la Biographie nouvelle des
contemporains). Nous nous sommes basé sur l'ouvrage de Pierre Savinel. Son
acte de baptême précise bien qu'il est né le 13 février, qu'il a été ondoyé le
14 février et baptisé le 28 août 1763.
Biographie d'après :
Biographie nouvelle des contemporains, ou Dictionnaire historique et raisonné de tous les hommes qui, depuis la révolution française, ont acquis de la célébrité par leurs actions, leurs écrits, leurs erreurs ou leurs crimes, soit en France, soit dans les pays étrangers, précédée d'un tableau par ordre chronologique des époques célèbres et des événements remarquables tant en France qu'à l'étranger depuis 1787 jusqu'à ce jour (1824) et d'une Table alphabétique des assemblées législatives, à partir de l'assemblée constituante jusqu'aux dernières chambres des pairs et des députés, par MM. A.V. Arnault, ancien membre de l'Institut, A. Jay ; E. Jouy, de l'Académie française ; J. Norvins, et autres Hommes de lettres, Magistrats et Militaires. Ornée de 300 portraits au burin d'après les plus célèbres artistes. Tome quatorzième. MONO–NAP, PARIS, à la Librairie Historique, 1824.
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Collection Hachette : Maréchaux d'Empire, Généraux et figures historiques
(Collection de l'auteur)
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